Sodibas : l’aventure du bas couture

Photo Sodibas montrant les jambes d'une femme, gainés dans des bas à diminution.

(« TGV Magazine, 1999 »)

J’aime les femmes qui font le sacrifice du confort pour la séduction

« Je suis un nostalgique des années 50, un inconditionnel de l’époque des pin-up glamour portant de jolis dessous… ». L’auteur de ces paroles est un bien curieux personnage. Admiratif du galbe d’une jolie jambe parée de Nylon cristal et fervent défenseur des bas couture, Yves Riquet vient de racheter le dernier métier rectiligne de France capable de les tricoter. Portant élégamment ses cinquante-six ans, ce chef d’entreprise travaillant dans l’informatique n’a rien d’un fétichiste au goût suspect. Depuis de nombreuses années, il évolue simplement dans un univers parallèle qu’il s’est créé, fait de luxe et de rêve. Distinction, élégance et sophistication sont ses maîtres mots.


Pour lui, les collants sont aux bas couture ce que les œufs de lump sont au caviar. Un sacrilège, une faute de goût impardonnable. Et c’est d’une voix émue qu’il se remémore les premiers films de Brigitte Bardot ou de Marlène Dietrich dans l’Ange bleu, arborant des bas couture. Intarissable sur la « matière », on apprend avec lui qu’au début du XXe siècle, un artisan mettait une journée pour tricoter un bas de soie. Alors qu’un métier rectiligne pouvait en fabriquer trente-deux en quarante-cinq minutes! « Sachez, précise-t-il, que la grosseur d’un fil de Nylon s’évalue en deniers. Son diamètre (près de dix deniers) équivaut ainsi au quart d’un cheveu. Sachez enfin que la finesse d’une maille dépend de la grosseur des aiguilles… ». Ascète, soucieux de son apparence, Yves Riquet explique sa fascination des bas tout en sirotant une infusion. Il ne boit pas, ne fume pas et ne dîne jamais, se contentant à peine d’un sablé. Mondain, il sort pourtant presque tous les soirs, en compagnie de ses amis, à la découverte d’un nouveau restaurant. Pas pour manger mais pour l’ambiance et admirer les jolies toilettes des élégantes parisiennes.

« Je fais partie de la génération des hommes mariés avant 1965 dont les épouses sortaient habillées en bas couture, en chapeau et en gants à crispin. J’ai une admiration sans borne pour la création et pour les magnifiques illustrations Dior de René Gruau, qui célébraient la féminité ». Passionné de mode, il voue une véritable admiration à de grands couturiers comme Thierry Mugler ou Paco Rabanne, fréquente stylistes et mannequins et assiste à de nombreux défilés. Vulgarité et laisser aller font bondir cet esthète qui glorifie la délicatesse et le raffinement.« J’aime les femmes qui font le sacrifice du confort pour la séduction. ll est, sans nul doute, beaucoup plus pratique et rapide d’enfiler un collant. Mais j’admire avant tout les utilisatrices des bas couture qui, elles, font un effort ».

Malgré sa passion pour la mode, rien ne le prédestinait à investir plusieurs centaines de milliers de francs dans un vieux métier à tricoter les bas. « Le plus grand des hasards a mis cette machine de quarante tonnes et longue de vingt-cinq mètres sur ma route. Dans le cadre d’un projet multimédia pour mon entreprise, j’ai été amené à parcourir la fabrique de collants Gerbe. Une société familiale fondée en 1906 réputée pour ses chaussants de très grande qualité. Nous avons commencé la visite par la partie la plus ancienne de l’usine. Et là, j’ai découvert « le monstre », fasciné de voir comment cet engin fabriquait des bas couture, hypnotisé par cette merveille de mécanique qui fonctionnait toujours après plus d’un demi-siècle de bons et loyaux services. »

Là, il découvre qu’ils sont tricotés à plat, sortant sous forme de bande dont les bords sont rapprochés en une couture surjetée. Ils sont ensuite cousus en diminution ce qui permet de rattraper les différences de volume entre la cuisse, le genou, le mollet et la cheville. Les bas tombent alors naturellement sur la jambe en épousant ses formes. La couture agit d’ailleurs en trompe-l’oeil et affine terriblement la jambe, la diminuant presque de moitié. « Pendant la Seconde Guerre mondiale, la pénurie de Nylon avait poussé les femmes à se teinter les jambes pour faire illusion et à dessiner elles-mêmes les coutures. Acrobatique ! ».

Lorsque la direction de Gerbe lui annonce qu’elle va cesser la fabrication des ruineux et guère rentables bas couture, l’amateur de glamour se mobilise. « Gerbe avait décidé d’envoyer, purement et simplement, la machine à la casse ! II m’était intolérable de voir ce dernier témoignage d’un savoir-faire tricentenaire s’éteindre à tout jamais. Et surtout inadmissible de ne plus trouver que des chaussants fabriqués de façon industrielle sur des machines modernes circulaires ».

Bas « Carnation » / « Past Perfect ». Photo Gerbe.

Autoproclamé gardien de la féminité et des traditions françaises, il part alors en croisade pour ces trois grammes de transparence et crée finalement sa société, Sodibas. Yves Riquet signe un contrat d’exploitation avec Gerbe l’engageant à vendre 22 000 paires de bas couture par an. Puis, se lance avec ardeur dans la redéfinition du produit : « Les Françaises ont grandi, leurs goûts ont changé, la mode a évolué. Conçus dans les règles de l’art, mes bas Past Perfect réunissent tous les critères de qualité du bas couture mais avec un nouveau revers, plus large à la cuisse, un renfort au talon plus haut et plus fin. »

En quelques semaines, six cents commandes (dont les quatre cinquième masculines) ont été enregistrées. Catherine Deneuve a commandé plusieurs paires pour le tournage de son prochain film, Est-Ouest. Aujourd’hui, même si les femmes ne portent des bas couture que dans les moments d’exception, la demande reste constante et bien présente. Yves Riquet a ainsi remis en question leur commercialisation classique à travers les boutiques de lingerie. Contrairement à ce que faisait Gerbe, les ventes se font désormais uniquement par correspondance, et dans quelques semaines via Internet dans toute l’Europe. Vous pouvez habiter loin de toute agglomération et avoir envie de vous habiller de manière raffinée en portant des bas couture.

Contrôle qualité – source : Wikimedia

« Le but de mon action, loin de tout fétichisme, est de répondre à une demande existante même si elle est confidentielle. Si par la suite, les boutiques de lingerie décident enfin de privilégier les bas, j’aurais fait mon boulot ». Yves Riquet n’oublie pas de préciser également qu’il a sauvegardé six emplois qualifiés dans l’usine. II peut, aujourd’hui, être heureux ! La lingerie fait, un peu grâce à lui, un retour triomphal. Porte-jarretelles et balconnets envahissent les supermarchés. Guêpières, serre-tailles, corsets pointent le bout de leur nez chez les grands couturiers.

Tapis dans l’ombre des fantasmes masculins, les bas couture ont longtemps attendu l’heure de leur retour en grâce. Les dernières statistiques concernant la lingerie peuvent d’ores et déjà enthousiasmer Yves Riquet. Les Françaises ont, en effet, acheté 8,4 millions de bas jarretières «  »stay up » en 1997, et 1,9 million de bas à jarretelles. « Je me réjouis aujourd’hui du retour du glamour et de la féminité. Les années 70, époque de l’apparition du collant consacré par l’avènement des minijupes et la poussée du féminisme, m’ont suffisamment déprimé ». Aujourd’hui, sans voyeurisme aucun, vous pouvez apercevoir tous les jours dans Paris au moins une paire de bas couture sur une femme. Le signe qu’ils ne sont plus des pièces de collection mais qu’ils continuent à entretenir les rêves des amoureux et des séductrices…

Notes de contexte

L’article ne parle que de Gerbe, mais Yves Riquet s’est aussi entendu avec un autre tisseur, dont le propriétaire venait de retrouver des métiers à tisser linéaires dans un hangar et de les remettre en état : l’Arsoie. L’aventure Sodibas a donc été un partenariat à 3, entre Yves Riquet qui achetait des bas à Gerbe, et les commercialisait, en ligne d’une part, et à travers un showroom monté à Paris en partenariat avec l’Arsoie / Cervin d’autre part. Pour les personnes qui seraient intéressées et qui les auraient ratés, vous pouvez trouver des articles mentionnant ce lieu chez basnylonetmusiqueretro, il ne me semble pas impossible qu’il y en ait aussi chez MissLegs ou d’autres membres publics de la communauté « nylon » de l’époque.

Aujourd’hui, en 2024, Sodibas ne commercialise plus de bas. La société poursuit cependant son action de promotion du bas nylon et du véritable bas couture à travers Nylonpur, qui en est la continuation. Quant aux véritables bas couture à l’ancienne, si chers à Yves Riquet, vous pouvez aujourd’hui encore les trouver chez Cervin, Gio ou Secrets in Lace. Et c’est en partie à lui que vous le devez.

Yves Riquet s’est retiré des affaires et, à 80 ans, profite, je l’espère, d’une retraite bien méritée.

Ressources complémentaires

Si vous voulez approfondir le sujet, vous pouvez trouver toutes une série de vidéo sur la chaîne NylonPur sur le sujet :

Racontées par Yves Riquet :

Sur le showroom Cervin / Sodibas à Paris, le Paris Boogie speakeasy :

Je viens aussi de trouver, chez basnylonetmusiqueretro, un petit article qui présente Yves Riquet à la manière du maître des lieux. C’est aussi léger que la caresse d’un bas nylon, n’hésitez pas à y faire un tour si vous ne l’aviez pas lu !

Le site officiel sodibas.com existe toujours et m’a servi de source d’informations additionnelles pour l’actualisation de cette article. J’y ai aussi puisé quelques images d’illustration. Il n’a cependant plus d’activité commerciale, et vous renverra vers la même chaîne.

Sauf mention contraire, les photos de cet articles sont issues de Sodibas / Nylonpur.



2 réponses à « Sodibas : l’aventure du bas couture »

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