Autre rencontre

Je ne te connais pas, je crois bien que je ne te connaîtrai jamais, et quand bien même viendrais-je à te rencontrer réellement, me connaissant je sais que je ne te reconnaîtrai pas, je me permets toutefois de te tutoyer, après tout, je l’ai fait avec cette jeune dame que j’ai rencontrée tantôt dans un train, je pense que je peux le faire pour toi aussi, tu ne devrais pas m’en vouloir. Sache en tout cas que ce n’est pas dans le but de te manquer de respect, simplement… c’est plus simple, plus direct, plus vivant, peut-être moins précieux aussi, je ne vois pas pourquoi l’usage occasionnel du subjonctif devrait m’interdire le tutoiement. Mais passons, je crois que je m’égare, tu sauras me pardonner. D’autant plus facilement qu’il est peu probable que tu lises jamais ce petit texte, mais ce n’est pas un problème, d’une certaine manière, je ne l’écris pas pour toi, je l’écris pour moi, pour me souvenir. Et je l’écris pour d’autres, pour leur donner un peu d’espoir, pour leur dire que tu existes et que s’ils te cherchent, peut-être qu’ils pourront t’apercevoir, eux aussi.

Faisons un petit pas en arrière, revenons à un moment où je n’aurais pas l’idée de m’adresser à toi, je ne sais même pas que tu existes ! Ce moment, je pense qu’il a été préparé. Avant de te voir, toi, j’ai vu une très jolie jeune femme qui portait un tailleur anthracite qui lui allait très bien, avec une petite jupe portefeuille fort avenante. Cette jeune femme portait des collants, nul n’est parfait, mais au vu de la longueur de sa jupe qui laissait assez peu de place à l’imagination, c’était peut-être préférable. Et puis son collant était vraiment épais, à la louche du 60 deniers. J’ai toutefois été bien content du sort qui a fait que, pendant quelques dizaines de mètres, nos routes ont été parallèles. Elles ont fini par diverger : elle allait à gauche, je devais aller tout droit et traverser la route, c’est le destin des visions aléatoires dans les grandes villes. J’allais très bientôt me consoler de cette perte, parce-que j’allais te voir, toi.

Toi, qui arrivais de l’ouest, comme moi, et qui avais visiblement besoin de traverser cette rue, aussi. Toi qui étais poussée, peut-être, par une sorte d’urgence : tu t’es lancée à l’assaut du pavé à l’instant où le feu t’en a donné l’opportunité. C’est là que je t’ai vue et que j’ai décidé sans vraiment m’en rendre compte que, moi aussi, j’avais besoin de traverser la rue à cet endroit. Je me souviens d’un mélange de noir et de blanc. Noire, ton blouson. Noires, tes jambes, vêtues de nylon. Encore plus noir ce qui, sur le haut, faisait franchement penser à des revers. Et blanche, ta jupe plissée, un peu courte peut-être mais j’ai su prendre sur moi pour ne pas m’en offusquer. Blanc aussi, le ruban qui te tenait les cheveux, pardonne-moi, je n’ai pas regardé en détail comment tu étais habillée, comment tu étais coiffée. Blanche aussi, enfin, cette peau que laissait entrevoir un trou sur ton revers, à l’arrière de ton bas gauche. Pas un keyhole, malheureusement, mais il faut parfois savoir se contenter de ce qu’on a, surtout quand on en a déjà tant !

Ai-je aperçu des jarretelles pendant ces quelques instants où j’étais derrière toi ? Je n’en suis pas sûr, je n’ai pas bénéficié d’aide surnaturelle, je suppose que mon ange gardien a plus important à faire – une partie de belote ou de Donjon avec ses potes, une bière qu’il ne fallait pas laisser tiédir, que sais-je ! Je suis toutefois à peu près sûr qu’elles étaient là. Malheureusement pour moi, nos chemins ont divergé une fois cette route traversée. Toi, tu savais où tu allais, tu as continué ton chemin. Moi, cette traversée m’avait permis de m’orienter et de savoir que je devais traverser dans l’autre sens pour remonter l’avenue, l’autre côté serait plus pratique, plus sûr avec les enfants. In peto, je t’ai donc fait mes adieux, en espérant que tu continueras longtemps à porter ce qui, ce jour-là, t’avait rendue si spéciale aux yeux de certaines personnes.



2 réponses à « Autre rencontre »

  1. Le début d’un recueil de nouvelles ? Bonne idée…

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    1. Peut-être, pourquoi pas ? Ça va dépendre des rencontres, celles que je raconte sont authentiques 😊

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