Un texte de Lili Sztajn, via NylonPur.
Soyons franches, aujourd’hui la moitié du plaisir de porter un porte-jarretelles vient de ce qu’on puisse nous l’ôter. Ou une femme se dévête devant un homme est une offrande, un jeu délicieux entre voyeur et exhibitionniste. Mais être déshabillée est un art suprême que peu d’hommes savent vraiment pratiquer. Et pour cause, disent-ils, puisqu’il n’y a plus rien à enlever (notons néanmoins que peu d’entre eux ont l’idée d’innover avec les moyens à leur disposition, en déchirant le collant par exemple). Le regard que l’homme porte sur l’objet, et celui que la femme porte sur l’homme regardant l’objet, est une composante érotique capitale dans le jeu du porte-jarretelles.
S’il est vrai qu’un porte-jarretelles ne s’achète pas uniquement pour soi, il faut l’acheter d’abord pour soi. Le trouver joli, se sentir bien dedans. Ou porter des collants si l’on ne se sent pas capable de défendre ce dessous comme il doit l’être. La plupart des femmes ont perdu l’habitude de porter cet accessoire, ne savent pas le choisir, et considèrent qu’il s’agit là d’un harnachement quasi-orthopédique, dont on accepte l’inconfort pour un soir. Une raison à cela : les porte-jarretelles qu’on voit refleurir aujourd’hui ne sont plus fabriqués par des corsetiers, donc souvent inadaptés à la morphologie féminine. La technique a été perdue (pas par tous, heureusement), parce qu’un bon porte-jarretelles, c’est long et difficile à faire, donc très cher. On sacrifie le confort à une esthétique plus ou moins sexy, puisqu’il ne s’agit plus aujourd’hui d’un sous-vêtement de tous les jours.
En réalité, il faut savoir que se sentir mal à l’aise avec des bas et un porte-jarretelles n’est pas une fatalité. Pour faire un bon porte-jarretelles, nous explique Poupie Cadolle qui est orfèvre en la matière, il faut absolument que ça tourne. Autrement dit, que le tissu épouse le galbe de la hanche et que la taille forme un arrondi. Premier impératif avant d’acheter un porte-jarretelles, prendre chacune des agrafes de la taille dans une main, soulever l’objet à bout de bras et voir la figure ainsi obtenue. Si l’on a devant soi un beau demi-cercle, on peut faire l’emplette. Si ‘on obtient une belle droite, il vaut mieux reposer l’objet et partir en courant, car le joli sous vêtement se transformera sur les hanches en instrument de torture. Un bon porte-jarretelles est fait avec un patron qui comprend, selon le mode, deux ou trois morceaux par demi-porte-jarretelles. Vient ensuite un travail minutieux de pinces et de coutures bordées de biais, plus ou moins fines selon leur emplacement, qui donnent la forme à l’ensemble, assurent à la fois souplesse à l’arrière et rigidité au niveau de la taille et du galbe des hanches. La jarretelle doit être complétée par un pan (le ruban) qui l’isole de la peau et protège le système, c’est-à-dire la partie, idéalement en caoutchouc et carrée, qui s’enclenche dans l’agrafe en métal, Le plastique rigide aujourd’hui remplace trop souvent le métal et le caoutchouc, avec pour résultat des jarretelles qui sautent et des bas qui se déchirent. Le savoir-faire, les matières premières d’antan, inox de belle qualité pour les partie métalliques et rubans tubulaires pour les jarretelles, ont disparu et, plus que jamais, un porte-jarretelles réussi tient de l’œuvre d’art. Le travail doit être aussi minutieux pour la guêpière et le serre-taille, mais la technique de fabrication est différente et moins compliquée, car la tenue de ces deux sous-vêtements, qui se rapprochent plus du corset que le porte-jarretelles, ne repose pas uniquement sur la taille et les hanches.
Lorsqu’on a ont un bon porte-jarretelles, il faut ensuite choisir son bas, très fin de préférence, chair ou noir, à vraie couture si l’on ose – car ce sont les plus beaux -, avec un revers suffisamment souple et large pour respecter le galbe de la cuisse. Trouver des bas qui soient à la fois jolis et confortables n’est pas une tâche aisée. Le revers est trop étroit ou la matière trop épaisse, et l’on en est souvent réduit à courir les boutiques qui ont conservé de vieux stocks, ou à acheter ses bas en Angleterre. En France, seul Dior1 fabrique encore un vrai bas à couture avec les diminutions du mollet et de la cuisse, et cette délicieuse petite ouverture qui donne au revers sa souplesse. Pour le choix des matières et des couleurs du porte-jarretelles, tout est affaire de goût et de budget personnels. La soie est belle, mais fragile et difficile à travailler. Le nylon et le coton donnent de meilleurs résultats techniques, mais moins de satisfactions sensuelles. Uni ou brodé, on peut choisir son porte-jarretelles en fonction de la symbolique des couleurs. Noir obscur, rouge sang ou blanc pur. On peut préférer l’ivoire chic ou le gris perle, ou même le vert et le bleu, changer de couleur chaque jour ou en adopter une pour la vie. On peut rester résolument classique, oser certains jours le vulgaire, assortir ou dépareiller, porter des bas noirs avec des sous-vêtements blancs ou beiges, un slip blanc ou rouge avec des bas et un porte-jarretelles noirs.
On peut tout essayer, si l’on sait le porter. L’important est de savoir se regarder et de se composer comme un tableau, pour le plaisir de son propre regard et celui de l’autre.
Extrait de « Histoires du Porte-Jarretelles » par Lili Sztajn. Editions La Sirène.
- ces bas vendus à l’époque par Dior étaient vraisemblablement fabriqués par Gerbe. Aujourd’hui, en 2024, ce savoir-faire ne se trouve plus que chez l’Arsoie, qui produit la marque Cervin – ne partez pas encore, un article de présentation en bonne et due forme arrive bientôt ! ↩︎

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