Chantal Thomass

(« Dessous chics, mai 1997 »)

« Mon audace ? C’est d’avoir donné de armes à la séduction »
«
Une jolie cheville avec un bas noir couture et des escarpins talons hauts est un classique »

Comment vous est venue l’idée de concevoir de la lingerie ?
J’en ai eu envie parce que je ne trouvais pas ce qui me plaisait. J’ai vécu mon adolescence avec le féminisme. Je n’avais jamais porté de porte-jarretelles puisque les collants sont arrivés quand j’avais 14/15 ans. Je n’ai pas utilisé de soutien-gorge avant 25 ans parce que ce n’était pas à la mode. Je me suis alors rendu compte que tout ce qui était sur le marché était fonctionnel et ordinaire. En 1975, les modèles étaient emboîtants ou mémères. Il en existait à Pigalle mais ils étaient en Nylon, très vulgaires.

Comment avez-vous débuté ?
J’ai été voir les fabricants qui faisaient des modèles ordinaires et leur ai donné de jolies matières, comme la soie. Ça a démarré très vite. Tout à coup, il y a eu une demande. On a ouvert une petite boutique rue Madame, sous le label Chantal Thomass. J’ai amené des choses en lingerie parce que je venais du prêt-à-porter Encore aujourd’hui, les fabricants sont cantonnés dans un milieu très fermé. Moi, j’ai toujours tout mélangé. Si j’avais envie d’une culotte écossaise, j’achetais du tissu kilt et je m’arrangeais pour que ça tombe bien.

Pour vous, que symbolise la lingerie?
C’est ce qu’on porte sur la peau, tous les jours. C’est le premier geste du matin. C’est ce qu’on a de plus intime. Le matin, quand on se regarde dans la glace, on se regarde en lingerie. C’est un geste de séduction un peu narcissique.

La femme choisit-elle ses dessous pour elle ou pour l’homme qu’elle veut séduire ?
Cinquante-cinquante. C’est le fait de se sentir belle pour plaire. C’est pour son plaisir et son confort. On porte de la lingerie jolie et on ne la montre pas tous les soirs ! Mais, même si on ne la voit pas, la silhouette et la démarche sont très différentes si on porte un soutien-gorge pigeonnant ou emboîtant. Avec un porte-jarretelles et un corset, vous ne marchez pas de la même façon que si vous avez une culotte de sport. Il n’y a pas beaucoup de femmes qui vont au bureau en corset, mais certaines sont des habituées du porte-jarretelles, Elles en portent tous les jours. C’est peut-être un état de perpétuelle séduction.

Quelles sont vos pièces fétiches ?
Le soutien-gorge balconnet. Le noir. Les guêpières. Si on en met une, c’est un peu dommage que tout le monde n’en profite pas! C’est quand même un harnachement. Ça se met avec une blouse ouverte, un petit peu transparente. Je l’ai souvent présenté en dessus-dessous. J’aime aussi les bas et les collants.

Défilé de lingerie Chantal Thomass - manequin en guepière blanche et manequin en porte-jarretelles noir

Une femme sur une île déserte porterait-elle des dessous ?
Non, je ne crois pas. Si on part aux Seychelles, qu’est-ce qu’on va faire d’un porte-jarretelles ? Il fait une chaleur torride, on marche dans le sable en permanence… À ce moment-là, on peut porter quelque chose de ravissant et charmant, en coton, si on en a envie de sentir jolie le soir. Quand je pars à la campagne, j’opte pour un soutien-gorge emboîtant qui va aller sous un pull alors que je suis plutôt lingerie noire et balconnets pigeonnants. La lingerie va avec les moments de la vie. Chaque moment a des sous-vêtements adaptés.

Vous trouvez les collants sexy ?
Non. Je les ai travaillés en essayant de faire la culotte jolie, ça reste peu sexy ; mais il faut bien reconnaître que c’est beaucoup plus facile à enfiler que des porte-jarretelles et des bas ! Si on a envie de séduire, il faut des bas. J’aime aussi la jarretière mais ça fait des marques.

Quelles est la bonne hauteur pour les bas ?
C’est joli quand on voit de la jambe. À mi-cuisses ou avec une jupe fendue.

Qu’est-ce qui vous plaît dans la lingerie?
Les matières, des tissus rainés. Je trouve intéressant de faire de la lingerie de sport, comme quand j’avais fait un soutien-gorge d’allaitement, mais ce n’est pas ma spécialité.

Vous essayez les prototypes de vos modèles ?
Très souvent, pour voir si c’est confortable et portable. Les créateurs hommes vont généralement très loin parce qu’ils ne pensent pas au porter mais au visuel. Il y a des créations que je porterais bien mais je me dis : « Non, là, ça ne va pas du tout ! »

Quand vous dessinez, vous pensez à la femme qui va le porter ou à l’homme qui va le regarder?
Aux deux. J’ai un regard de femme qui veut séduire. Mais, quand j’ai fait défiler des soubrettes, quelque part c’était un regard d’homme. D’une manière drôle et avec humour. C’est un clin d’œil.

Quelles furent les réactions des féministes à vos débuts ?
Elles m’ont un peu attaquée puis ont compris ma démarche. À une certaine époque, on pouvait considérer que la lingerie était une soumission parce que la femme était dépendante de l’homme. Aujourd’hui, si on a envie de mettre un porte-jarretelles et une guêpière, c’est pour jouer, c’est pour soi. C’est nous qui décidons. Ce n’est pas vulgaire car c’est la femme qui choisit de séduire et non la femme-objet.

Défilé de lingerie Chantal Thomass - manequin portant des sortes de guêtres noires

Et celles venant de la presse féminine ?
Mes premières parutions furent dans Lui. Les journaux de mode ont mis un certain temps à s’y habituer. C’était un peu tabou. Il ne fallait pas que ce soit too much. C’est plus facilement passé dans les mœurs quand j’ai fait de la lingerie inspirée du prêt-à-porter. En fait, la guêpière a été plus vite acceptée par mes clientes que par la presse.

Qu’est-ce que la vulgarité ?
La limite avec la vulgarité est un fil très fragile et délicat. Ça vient de très peu de choses, de mélanges de couleurs, de matières. Mais la vulgarité, ça vient surtout de la manière de porter, de l’attitude. Pour certains, ce que je fais peut être vulgaire et, pour moi, ça ne l’est pas parce que c’est plutôt bien fait et dans des matières ramées. La même chose dans un tissu cheap et mal fait peut être très ordinaire.

Qu’est-ce qui est in, qu’est-ce qui est out?
La tendance de la mode, c’est la seconde peau. On n’a plus du tout envie de push out (pigeonnant). La presse montre plutôt des poitrines plates, des filles maigrissimes et androgynes. Je ne pense pas que ce phénomène va durer Personne ne ressemble à ça à moins d’avoir 16/ 17 ans. Parallèlement, on a le côté pin-up avec remonte-seins, remonte-fesses, remodelage du corps. J’ai moins envie de guêpières alors que j’adorais ça. On ne veut plus enfermer son corps. On revient à une ligne 1930 avec les nouvelles fibres, de plus en plus douces et confortables, qui la mettent en valeur avec des dentelles bicolores et des choses très fantaisie.

Est-ce que certains de vos modèles sont restés au stade d’idées ?
En général, j’ai eu la chance de toujours pouvoir faire ce que je voulais. Le vinyle noir, j’en ai eu envie très souvent et on m’a dit : « c’est too much ». Ce dont je ne suis jamais rassasiée, ce sont les culottes et les soutiens-gorge couverts de volants. C’est quelque chose que je ramène régulièrement mais que l’on fait rarement parce qu’on ne peut pas porter une culotte à volants sous une robe. C’est juste ravissant quand on est toute nue.

Avez-vous le sentiment que c’est un secteur très expansif?
C’est un milieu très fermé et très dur à bouger. En période de crise, les détaillants ont peur. De très belles choses ne marchent pas par ce que les détaillants ne les achètent pas et on finit par les enlever de la collection sans même les fabriquer Les commerciaux veulent toujours ce que l’on a bien vendu l’année dernière, ils ont peur d’aller de l’avant. Ils ont du mal à imaginer quelle sera la tendance dans un an. Une fois, j’ai fait du marron sur certains modèles personne n’en voulait. L’année d’après, les gens me répondaient qu’ils n’avaient pas de marron ! C’est pour ça que les marques ont de plus en plus leurs propres boutiques.

N’êtes-vous jamais allée trop loin dans la provocation ?
Je n’ai jamais été loin au point faire des choses choquantes. Par contre, j’ai réalisé des soutiens-gorge couverts de plumes parce que je trouve ça drôle. Je provoque toujours avec humour

Quels sont vos musts ?
L’invention des bas en dentelle à un moment où ça n’existait pas. J’avais trouvé une dentelle qui me plaisait et voulais en faire des bas. En 1979, tous les Français ont refusé en disant que ça ne marcherait jamais. Seul Wolford a voulu le faire. Ils l’ont tous imité deux ans après. C’est devenu un succès mondial. C’était le collant nœud. Ça a lancé une mode. Je n’ai pas inventé le côté pigeonnant qui laisse sortir le sein mais, à partir de 1977, je l’ai remis au goût du jour

Défilé de lingerie Chantal Thomass - manequin portant un ensemble noir avec des bas autofixants

Côté provoc, Jean-Paul Gaultier c’est la mitraillette et vous le revolver?
Chaque créateur a son propre style. Je n’aurais jamais pensé à faire ses seins pointus. Mon audace va moins loin. La mienne, c’est d’avoir donné des armes à la séduction.

Vous dites que vous avez donné « un bon alibi aux bourgeoises », c’est-à-dire ?
Les femmes ont envie de séduire et, quand j’ai commencé, il n’y avait pas beaucoup de moyen pour. Il y avait celles qui allaient à Pigalle pour acheter des lingeries sexy mais c’était un peu honteux. Acheter une jolie guêpière chez Chantal Thomass est devenu quelque chose de reconnu et d’accepté. La bourgeoise pouvait sans problème séduire avec du Chantal Thomass.

Êtes-vous fétichiste ?
Les bas et les talons hauts sont un critère de séduction. Le noir me trouble beaucoup plus que le blanc. La jambe, la cheville, la bottine sont des éléments de séduction. Une jolie cheville avec un bas noir couture et des escarpins talons hauts est un classique.

Certaines représentations de la femme vous semblent-elles indécentes ?
Ce n’est pas dans la lingerie qu’elle porte mais dans l’attitude. Je trouve limite la dernière campagne Gucci où le mannequin a la main dans le pantalon. J’ai détesté la campagne Obsession avec Kate Moss car c’était un regard de voyeur. Le côté soumis me déplaît énormément. Je n’aime pas les photos les jambes écartées, je trouve ça épouvantable. Dans les journaux de charme, il y a des positions que je trouve « trop ».

Comment conseillerez-vous de choisir sa lingerie ?
Une femme doit apprendre à se connaître et à regarder son corps. Elle peut avoir des jolies épaules et des vilaines jambes. À ce moment-là, elle se fait un magnifique décolleté et porte une jupe longue, un pantalon ou des collants noirs opaques. Il faut mettre en valeur ce qu’on a de bien. C’est quelque chose qu’on apprend avec l’âge. Une culotte montante est plus jolie qu’une mini-culotte avec un ventre pas terrible. Il vaut mieux éviter le bikini si on a les fesses molles.

Vous pensez que les femmes se voient dans la glace telles qu’elles sont ?
Malheureusement, je pense qu’elles ne sont pas assez critiques avec elles-mêmes. Les jupes courtes avec de grosses jambes, les caleçons à fleurs et les robes tubes moulantes me choquent. Je redoute l’été car je trouve que les femmes en montrent trop. Je n’aime pas les jambes nues. Je mets toujours des bas ou des collants même en été. Ça fait de plus jolies jambes.

Vous êtes une esthète ?
C’est un défaut quand on travaille dans la mode. On se compare avec de filles de vingt ans qui ont des corps magnifiques. Moi, trois kilos de trop, je me trouve immonde ! La semaine dernière, à New York, j’ai encore vu Claudia Schiffer nue, Naomi Campbell, Yasmine Gori, qui a un corps de statue, fine mais en même temps carrée d’épaules avec des beaux seins, des hanches rondes… Dur, quand on se regarde dans la glace après !

Qui photographie le mieux la lingerie ?
Celui qui peut aller très loin, c’est Helmut Newton. C’est la maîtresse‑femme mise en scène. Moi je vois régulièrement dans la presse et dans les pubs des maquillages et des coiffures qui manquent de raffinement. Pour moi, séduction rime toujours avec charme.

Vous avez déjà travaillé pour des films ?
Dernièrement, j’ai dessiné des modèles pour Angie Everheart, l’ex de Sylvester Stallone, pour la suite de « Neuf semaines et demi ». Le film se passe à Paris avec Mickey Rourke, dans le monde de la mode.

Quels sont vos films cultes côté lingerie ?
« Neuf semaines et demi », où le jeu du strip-tease est vraiment joli. « Belle de jour » de Luis Buñuel. Les films avec Marylin Monroe que je trouve très belle.

Avez-vous déjà dessiné des dessous masculins ?
En 1985, j’ai fait une collection relativement d’avant-garde puisque je n’avais que des caleçons en maille. Nous l’avons fait deux saisons et nous avons cherché un financier. Commercialement, c’était compliqué parce que c’était un réseau de vente différent. L’image Chantal Thomass était féminine et les fabricants d’hommes n’y croyaient pas.

De quoi avez-vous envie aujourd’hui ?
J’ai envie de travailler pour plusieurs maisons J’ai œuvré pendant 25 ans pour ma marque avec mon style. Travailler pour Wolford, ce n’est pas du tout faire du Chantal Thomass. C’est un style différent, une séduction beaucoup plus carrée, plus nette, plus épurée, plus femme. Mon rêve serait de faire de la haute-couture en vêtements et en lingerie. Une vraie collection de haute couture en corsetterie serait somptueuse. Une ligne luxe et sur mesure pour pouvoir travailler avec des artisans comme les brodeurs. Cela, personne ne l’a jamais fait.

Défilé de lingerie Chantal Thomass - une femme sur un escalator, portant des bas couture à talons français.

Informations complémentaires

J’ai peu de choses à ajouter sur cet article, n’ayant pas vraiment suivi la marque. Ce que j’ai pu voir, c’est qu’au moment de l’interview Chantal Thomass venait sans doute de récupérer le droit d’utiliser sa marque, qui venait de passer dans l’escarcelle de Sara Lee (comme Dim). Elle a été en 2011 revendue à Chantelle, qui semble encore la posséder aujourd’hui.

Une fois de plus, un grand merci à NylonPur pour les photos d'illustration de cet article. Et merci aussi à lui d'avoir mis cet article en ligne à l'origine.


Une réponse à « Chantal Thomass »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.