Premier article d’une petite série que je pense faire, au fil de l’inspiration, sur ce qu’on a inventé pour tenir les bas en place. Initialement, je pensais commencer par le corset, avant de réaliser que non, clairement, il n’est pas le premier, il a été battu par un autre objet qui a eu quelques siècles d’avance sur lui.
J’ai failli l’oublier, et pourtant, c’est la première méthode qui a été, dans l’Histoire, utilisée pour tenir les bas. J’en veux pour preuve la devise de l’ordre de la jarretière anglais : « Honi soit qui mal y pense »1. Il s’agit tout de même du plus ancien ordre de chevalerie encore existant, il a été fondé par Édouard III d’Angleterre après que sa favorite du moment avait perdu la sienne lors d’un bal. L’histoire s’est déroulée en 1348, soit une bonne cinquantaine d’années avant la première mention du mot « corset » (et environ 550 ans avant qu’on eût l’idée saugrenue d’ajouter des jarretelles audit corset).

Je le dis, je le répète2 : il ne faut pas confondre « jarretière » et « jarretelle »3 – je sais, c’est difficile, les deux mots commencent de la même manière, et les deux mots désignent un ruban pouvant être élastique. La ressemblance s’arrête là : le premier désigne un ruban qui tient le bas en place en faisant le tour de la cuisse. Le deuxième désigne un ruban élastique qui relie le bas à une pièce placée plus haut.
Schématiquement, la jarretière est horizontale, la jarretelle est verticale. La jarretière barre la jambe, la jarretelle la suit et la souligne.
La jarretière a régné sur les jambes des femmes… et des hommes jusqu’au XIXe siècle. Voir pour l’exemple le portrait des rois de France en costume de sacre : s’ils portaient des bas de soie ceux-ci n’étaient pas autofixants. Ce qui se passait sous la culotte des rois n’est pas vraiment passé à la postérité, mais le Siècle des Lumières nous a laissé quelques tableaux qui nous montrent assez clairement ce qui se trouvait sous les jupes des dames. On le voit sur certains tableaux de Jean Honoré Fragonard ou de son maître, François Boucher. Je laisse les plus curieux d’entre vous aller voir « La toilette intime » de ce dernier, et je me contente de mon côté de la prude représentation d’un jeu bien innocent !

Je l’ai dit plus haut, les hommes on abandonné les bas dans le courant du XIXe siècle, ce qui en a fait avec la jarretière un vêtement exclusivement féminin à la fin du siècle. En 1876, le corsetier Féréol Dedieu a inventé une nouvelle pièce de lingerie qui, bien des années plus tard, allait porter un coup fatal à la jarretière : une sorte de ceinture munie de rubans élastiques, auxquels on pouvait accrocher les bas. Cette invention avait principalement un but médical : en serrant le haut de la cuisse, la jarretière pouvait poser des problèmes de circulation sanguine. Le succès de cette nouvelle invention allait se faire attendre, il faudra environ 20 ans à ces élastiques pour être adaptés sur les corsets des dames britanniques, les françaises jugeant cet accessoire inesthétique.



La jarretelle finira par s’imposer un peu partout dans la première moitié du XXe siècle : de plus en plus de femmes devant travailler, les corsets on laissé la place aux gaines et aux porte-jarretelles, beaucoup plus légers. À partir de ce moment la jarretière s’est retrouvée cantonnée à un usage purement ludique et à certaines circonstances particulières, comme le mariage. À noter que dans ce cas, son rôle est aujourd’hui purement ornemental, il n’est pas rare de la voir portée sur… des collants.

Elle devait cependant faire son retour sous une autre forme pendant les années 60, lancée par la société « Bas Dimanche », encore active aujourd’hui sous un autre nom4 : celle-ci allait l’intégrer directement à ses bas sous la forme d’une bande de silicone. Cette invention allait être promise à un grand succès. Mais c’est déjà une autre histoire !

Pour les personnes qui seraient intéressées, l'image d'illustration de cet article est un détail du tableau « La toilette » de François Boucher - tant qu'à faire dans le rocaille, autant y aller jusqu'au bout ! Le lien vous amènera vers une photo de l'œuvre entière, elle est exposée à Madrid.
Les photos en couleur de ce billet sont tirées de Wikimedia Commons, elles sont sous des licences libres.
J'ai trouvé les photos monochromes sur Pinterest, la dernière vient de Tumblr.
- j’ai pris la liberté d’utiliser l’orthographe originale de la devise, en anglo-normand. En français moderne, le mot « honni » prend, bien sûr, 2 « n ». ↩︎
- c’est dramatique, mais l’erreur est extrêmement répandue, aussi chez des professionnels qui parlent d’attacher le bas « à la jarretière ». Ça n’a juste aucun sens, à mon avis un pro qui vous dit ça ne sait pas de quoi il parle, fuyez-le. ↩︎
- on n’est pas aidés sur ce point par la langue anglaise – spécialement à l’Ouest de l’Atlantique, qui parle de « garter belt » pour désigner un porte-jarretelles, sachant que le mot « garter » signifie « jarretière » en anglais. De là à imaginer que la confusion résulte d’un anglicisme mal assumé, il y a un pas qui est facile à faire ! ↩︎
- Dim, pour ceux qui l’ignoreraient. L’entreprise était française à l’époque, son actionnaire principal est en 2024 un fond américain. ↩︎

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