Du nylon sous le qipao

L’idée de cet article m’est venu pendant les festivités du nouvel an chinois, quand j’ai aperçu une personne qui portant un qipao court, ne laissait aucun doute sur ce qu’il y avait dessous : une paire de bas noirs, avec peut-être un porte-jarretelles – je n’ai rien vu sur le côté, mais le bas semblait remonter un peu vers l’arrière, chose qui à mon avis ne s’explique que par une jarretelle. Était-ce une femme assez grande, un homme travesti, la vision a été fugace et je n’ai pas eu le temps de regarder plus en détail. Toujours est-il qu’à mon sens, la tenue était plutôt inappropriée – un qipao est largement fendu sur le côté, la fente de celui-ci montait bien au-dessus du haut des bas, il était donc impossible de cacher quoi que ce soit.

Retour au sujet, on va peut-être commencer par une explication : le qipao est un vêtement chinois, qu’on appelle par abus de langage la « robe chinoise » – en réalité il s’agit plutôt d’un vêtement d’origine mandchoue, la véritable « robe chinoise » étant plutôt à chercher bien plus loin dans le passé, à l’époque Han (soit il y a environ 2000 ans, rien que ça !). Les Qing ayant reigné sur la Chine à l’époque où l’Occident y a pénétré, ce vêtement est cependant le plus connu ici. Il s’agit d’une robe étroite, fermée sur le haut par une sorte de chemisier et fendue sur les deux côtés pour permettre la marche – non que les femmes de l’époque Qing marchaient beaucoup, l’état de leurs pieds ne le leur permettait pas, mais les hommes portaient une tenue similaire. La fente peut remonter selon le modèle jusqu’au genou ou jusqu’en haut des cuisses. Traditionnellement cette robe descend jusqu’au niveau de la jambe, entre le genou et la cheville. Il existe aujourd’hui des modèles beaucoup plus courts. Les plus beaux sont bien sûr en soie. On en trouve aujourd’hui à tous les prix, donc les moins chers seront en polyester. Pour en voir toute une série de superbes exemples, je ne peux que vous recommander de regarder « In the Mood for Love », j’ai lu quelque part que Maggie Cheung en porte une cinquantaine dans tout le film.

A-t-on vu du nylon sous les qipao ? C’est peu probable, en tout cas le phénomène « nylon» n’a jamais pu atteindre le niveau qu’il a atteint en Occident, pour un certain nombre de raisons historiques. En premier lieu, l’influence occidentale sur la Chine a toujours été très faible. La pénétration occidentale dans le pays s’est limitée à quelques concessions dans des grandes villes – Shanghai ou Canton – et à deux colonies côtières – Hong-Kong et Macao. À l’époque où les occidentaux sont venus en Chine, les hommes chinois ne rêvaient pas de bas mais de petits pieds – il me semble que ce fantasme a plus ou moins disparu, et au vu des souffrances qu’il infligeait aux femmes dès leur plus jeune âge, ce n’est peut-être pas un mal. J’invite toute personne qui voudrait comparer cette pratique au fait de demander, ici, aux femmes de porter des bas à chercher des photos de « petits pieds Chine », si elles ne sont pas trop de mauvaise foi elles devraient comprendre la différence.

Cette faible pénétration occidentale a amené à ce que la pratique du bas, si elle a eu lieu, n’a eu qu’une extension géographique très limitée. Et même là, je ne pense pas qu’elle ait atteint des sommets : l’ensemble des villes que j’ai citées se trouvent sous un climat plutôt doux, avec des étés chauds et humides. Quand je dis « chauds et humides », c’est vraiment très chaud et humide, le genre de climat qui, quand on sort des zones climatisées, nous donne l’impression qu’une enclume nous écrase. Porter des bas dans ces conditions, ça n’a rien de très agréable, à moins qu’ils ne soient particulièrement fins. Ce qu’ils n’étaient pas vraiment dans les années 20/30. Quant aux années 40, les chinoises avaient d’autres choses en tête, comme une guerre civile. Celle-ci a pris fin en 1949 par la victoire du Parti Communiste sur le continent. Grand niveleur aussi du point de vue vestimentaire, celui-ci a mis fin à toute idée d’expérimentation.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le qipao a survécu, bien sûr. Il est aujourd’hui assimilé à une tenue traditionnelle chinoise, bien qu’il ne soit pas lié à l’ethnie dominante. Quant aux bas, ils ne se sont pas installés là-bas, en dehors de quelques tenues extrêmes qu’on peut peut-être parfois croiser dans des grandes villes très ouvertes sur le monde, et dans ce cas il s’agira plutôt de bas jarretière ou de collants. Dans les terres, et plus encore dans les petites villes, on pourra parfois avoir l’illusion de voir le bas du revers d’un bas. Inutile de rêver, ce n’est que la lisière du haut d’un collant… Tout ceci n’exclut bien évidemment pas qu’il puisse exister des femmes d’origine chinoise qui auraient un fétichisme pour le nylon, et des hommes qui peuvent trouver ça… intéressant. Il s’agira de l’exception plutôt que de la règle. Ceci dit, quelques exceptions sur une population de 1,5 milliards de personnes, ça peut quand-même faire du monde, ce qui peut expliquer que des entreprises comme Cervin puissent espérer s’y développer.



6 réponses à « Du nylon sous le qipao »

  1. Très intéressant pour l’approche historique, ethnique et sociale ainsi décrite.
    Comme quoi on peut apprendre via ses passions, et parfois mieux que par des discours ternes et magistraux (oui, suis fan de Robin Williams dans « Le cercle des poètes disparus », what else ^^). Et j’ai eu la chance d’avoir rencontré quelques professeurs aussi passionnés, qui vous donnaient l’envie de savoir, de titiller votre curiosité.
    …je m’égare ^^
    En tout cas, ça instruit, merci pour votre article.

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    1. Merci pour ce commentaire 🙂
      En ce qui me concerne, on peut dire que j’ai une sorte d’intérêt personnel sur le sujet, même si en pratique le résultat ne va pas trop dans le sens que j’espérerais… tant pis, on fait avec !
      D’une certaine manière, même si je ne le dis pas explicitement dans le texte, je réponds aux vidéos « short » qui essaient de montrer des filles sexy (ou vulgaires…? C’est une question de point de vue) dans des rues de grandes villes chinoises. Si c’est peut-être un phénomène réel, il est de toute façon très marginal, la société chinoise est en pratique très pudique et met en place une séparation assez forte entre hommes et femmes.

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      1. Il serait assez intéressant d’avoir un point de vue d’une ou des personnes qui y vivent quotidiennement (comme nous), pour en avoir une idée plus précise.
        En effet, les réseaux sociaux sont dit être un miroir électronique (et noir…) de la société actuelle, mais un miroir ne reflète pas toujours tout de manière strictement identique…
        Ce miroir là filtre, involontairement ou volontairement.

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      2. Je note la question, je ne pourrai pas forcément la poser à des personnes qui vivent sur place, mais je peux demander à des personnes qui en viennent et qui y retournent de temps en temps.

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  2. Commentaire de NylonPur, que je poste pour lui dans la mesure où il voulait y joindre des photos, qu’il n’a pas pu y mettre lui-même :

    Pas de Qipao mais bien du nylon gainant des jambes chinoises. Photographies de Ed Van der Elsken , tout début des années 60.

    Les photos sont tirées du livre « Hong Kong », de Ed Van der Elsken.

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    1. Je peux me tromper, mais je pense bien voir un qipao sur la 2e photo 🙂
      On voit bien aussi des personnes clairement occidentales. En fait, Hong-Kong n’est pas vraiment la Chine (ou l’art de retomber sur mes pattes !), c’était un bout de Grande Bretagne arrimé au continent chinois. Surtout, Hong Kong n’a pas subi la coupure d’avec le monde occidental qui a touché la Chine sous Mao. En bref, dans les années 60, Hong-Kong était une ville largement occidentale. À mon sens, elle l’est restée jusqu’à sa récente reprise en main par le PCC…
      Il est vrai que mon article se limite à la partie de la Chine que je connais un peu : la Chine continentale. J’exclus Taïwan de mon analyse, Hong-Kong et Macao n’y sont pas non plus.
      À titre d’ouverture complémentaire, je pense qu’il y aurait à dire sur l’usage des bas au Japon, je ne sais pas s’il est courant mais les livres de Haruki Murakami me laissent penser qu’ils ne laissent pas indifférents là-bas.

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