Les débats des réseaux : est-ce de la prostitution ?

J’ai l’impression que ce sujet est devenu le fil rouge de cette semaine, entre l’article de mercredi dernier et celui de mercredi prochain. Dans la mesure où un débat fondamental fait actuellement rage sur les réseaux, touchant d’assez près à ce sujet, je pense qu’il est urgent que je sorte de mon digne silence pour aborder de front cette question fondamentale : est-ce que faire commerce de photos de soi sur MYM ou OnlyFans est équivalent à de la prostitution ?

En préambule, je tiens à vous informer que je n’ai pas poussé la curiosité jusqu’à me renseigner sur ce qu’est MYM, n’attendez pas de moi que je définisse cette plateforme pour vous. Concernant OnlyFans (que j’abrègerai “OF” par la suite), il s’agit d’une plateforme qui permet de partager tout type de photos (et peut-être de vidéos) avec des personnes abonnées contre espèces sonnantes et trébuchantes1 à votre compte. J’imagine qu’il doit être possible d’y avoir un compte autour de la création de maquettes d’avions de la 2e guerre mondiale en allumettes, mais je pense qu’il est beaucoup plus simple d’attirer un grand nombre d’abonnés, et donc beaucoup plus rémunérateur, d’y partager des photos de charme. Dans l’idéal, des photos personnelles, je ne sais pas trop comment OF s’occupe de ceux qui partagent des photos des autres, je vous invite à trouver et à lire les conditions d’utilisation de la plateforme si le sujet vous intéresse. Je suppose que MYM doit être similaire2.

Le débat qui fait rage a donc lieu entre des personnes qui estiment qu’une telle activité n’a rien à voir avec de la prostitution, et d’autres qui considèrent que c’est le cas. Mon avis manquait visiblement à toutes ces personnes, c’est pourquoi je l’expose ici.

Sur le principe : on a des personnes qui prennent des photos d’elles en situation plus ou moins scabreuse, et qui les vendent. Il s’agit donc indubitablement d’une marchandisation de son image. Cette marchandisation peut-elle être assimilée à de la prostitution ? Il convient d’aller voir s’il est possible d’avoir une définition claire la prostitution avant de trancher. Claire et, si possible, indépendante de toute idée pré-conçue.

Mon premier réflexe a été de consulter le code civil : assurément, dans la mesure où le terme est utilisé dans le code pénal, il doit bien être défini légalement…? Il semblerait que non. Ceci dit, je me suis contenté d’une recherche sur Legifrance, en ne cherchant que dans les codes, j’ai sans doute raté des choses ! Tout ce que j’ai trouvé, c’est l’article 611-1 du Code Pénal :

Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.

On a l’idée de rémunération ou d’échange, mais pas de définition claire : si l’on en croit ce texte de loi, le fait de solliciter […] des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livrerait à la prostitution gratuitement ne serait donc pas pénalement répréhensible. Ceci dit, peut-on se livrer à la prostitution en dehors de l’existence d’un tel échange ? J’ai posé la question à l’Académie Française :

Le fait d’avoir des relations sexuelles en échange d’une rétribution ; activité consistant en la pratique régulière de telles relations.

Là où le législateur, dans son infinie sagesse, décide de ne pas définir la pratique et de laisser le juge faire son travail de juger, ils semble que les Immortels ont choisi de trancher : pour eux, pour qu’il y ait prostitution, il faut qu’il y ait rétribution. Et relations sexuelles, bien sûr. Une rétribution, c’est une récompense. Il peut s’agir, a priori, d’une rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou la promesse d’un tel avantage. Où l’on remarque que nous sommes gâtés avec le législateur que nous avons actuellement (l’article du Code Pénal mentionné plus haut a été rédigé en 2016), dans la mesure où il pénalise le fait d’avoir une relation sexuelle avec une personne qui se livre à la prostitution d’une manière qui permet de caractériser la prostitution… bravo messieurs-dames les députés ! J’imagine que si le code pénal mentionne « une personne qui se livre à la prostitution », c’est pour ne pas pénaliser certaines relations sexuelles intéressées réalisées hors de tout cadre « professionnel »… mais je dois avoir l’esprit mal tourné.

Partant de ces définitions, on peut se faire un début d’idée sur mon point de départ : si les photos et vidéos partagées sur ces plateformes n’incluent pas de relation sexuelle, elles ne sauraient par définition être qualifiées de prostitution. Qu’en est-il s’il y a un acte sexuel ? Je pense qu’on tombe dans une zone grise, qui est la principale limite de ma démarche : dans ce cas l’usage qualifie ces contenus de pornographiques. Ceci dit, le travail d’un acteur porno consiste à avoir des relations sexuelles tarifées. On a là un autre problème, qui est la distinction entre pornographie et prostitution. Elle me semble subtile, d’autant plus que le mot « pornographie » a été construit à partir du mot grec signifiant « prostitution ».

Je creuserai peut-être ce sujet, un jour, mais il dépasse le cadre de ma réflexion sur OF et MYM. Dans tous les cas, s’il n’y a pas de relation sexuelle, le fait pour une personne de commercialiser des contenus dénudés ne constitue pas de la prostitution. Vouloir absolument que ce soit le cas implique que vendre l’image de son corps est de la prostitution. Je ne suis pas sûr que les mannequins qui posent pour le catalogue de la Redoute apprécieraient. Restons sérieux !

  1. j’aime bien l’expression, donc je l’utilise, même si en matière d’ ↩︎
  2. depuis la rédaction de ce passage, je me suis pro-activement renseigné (en pratique, je suis tombé sur une discussion où quelqu’un posait la question, et j’ai lu les réponses). Il ressort que MYM, c’est comme OnlyFan, mais quand OF est une plate-forme américaine, MYM est une plate-forme française. ↩︎


3 réponses à « Les débats des réseaux : est-ce de la prostitution ? »

  1. Je sais qu’il y a des comptes sur OnlyFans qui n’ont rien à voir avec la nudité. Pourtant, je ne vais jamais les voir, car le domaine est comme un quartier chaud — si on n’est pas à l’aise avec sa réputation, on l’évite tout court.

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    1. Je dois avouer que je n’y suis jamais allé, dans le fond ça m’intéresse assez peu 😊
      Mais sur le principe, comme je le dis dans l’article, je pense que ces plate-formes doivent pouvoir être utilisées pour tout type d’images (j’inclus l’IA dans le lot). Le défi étant de trouver des personnes prêtes à payer pour ces images… il y a à ma connaissance un domaine de l’activité où ça me semble assez facile de trouver du monde pour payer… (de là à gagner assez pour en vivre, c’est encore autre chose, je crois que de ce côté c’est réservé à une extrême minorité)

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  2. […] réseaux m’amène à une question que j’ai vu tourner pas mal avant l’été sur OnlyFan et MYM. J’ai réfléchi sur le sujet et j’ai publié mes réflexions le 12 août. […]

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