Parées !

Le vêtement féminin déchaîne les passions. Bon, il y a peut-être un peu d’exagération, mais il fait couler beaucoup d’encre, entre ceux qui disent que les femmes doivent porter ci ou ça et celles qui affirment que telle pièce est un instrument de torture créé par le patriarcat capitaliste néolibéral pour mieux asservir le corps des femmes. Alors, pour tenter d’y voir un peu plus clair dans ces discussions où dominent les avis à l’emporte-pièce assénés comme des vérités absolues et universelles, j’ai lu un livre. Fut un temps, ce n’était pas que banal : j’avais toujours le nez fourré dans un bouquin. Ce temps, c’était avant, je prends beaucoup moins celui de lire maintenant — j’ai tendance à le remplacer par l’écriture. Mais celui-ci, je l’ai lu, et même relu pour pouvoir vous en proposer une recension correcte. Ce livre, c’est Parées, de Yvane Jacob, que j’ai lu en version numérique, qui m’a été recommandé à travers un commentaire sur Facebook. Un livre où l’autrice interroge, en se limitant à l’Occident, l’évolution du vêtement féminin à travers les âges, en partant de l’idée qu’il est injuste que la femme ait de tous temps1 eu à souffrir de vêtements peu pratiques, et en s’interrogeant sur ce qui a amené à cette situation. Pour se rendre compte, comme toujours, que les choses ne sont pas aussi simples.

Corps à baleines, XVIIIe siècle

Je vais commencer d’emblée par dire ce que ce livre n’est pas : ce n’est pas une étude universitaire. L’autrice se présente comme une journaliste, pas comme une chercheuse, ce n’est donc pas non plus un projet de recherche. Il s’agirait donc plutôt d’une Histoire romancée. Romancée, certes. Au service d’un message, c’est évident. Mais le livre garde d’un travail universitaire la bonne habitude de citer ses sources, ce qui en fait a priori une bonne base pour mener ses propres recherches. Et comme c’est romancé, c’est écrit comme une histoire — ça tombe bien, j’ai toujours adoré les histoires. Le style est vif, alerte, mélange les éléments du passé avec des anecdotes personnelles : ça se lit très bien. Oh, il y a bien quelques erreurs historiques, comme présenter François Ier comme « le premier des Bourbon »2, mais on lui pardonne aisément ces quelques écarts.

Et le contenu, me demanderez-vous ? Je crois que je pensais initialement faire une sorte de recension par chapitre. Le premier chapitre parle de ça, le deuxième de ceci, quant au troisième… bon, on a vu plan plus original, plus intéressant. Je vais plutôt vous en proposer un ressenti d’après mes souvenirs, après deux lectures. Premier point, important : si l’autrice s’interroge sur le côté « pas pratique » du vêtement féminin, elle semble ne pas perdre de vue que le vêtement masculin n’a pas toujours été, lui non plus, un modèle de confort. Elle mentionne les artifices dont il a été lui aussi paré dans l’Histoire, faisant qu’à certaines périodes les hommes faisaient penser à des paons, avant la grande uniformisation du costume public masculin au XIXe siècle. Le terme « public » a toute son importance ici, le paon de l’Ancien Régime se retrouvant dans les domiciles bourgeois à cette époque.

Robes à crinoline, vers 1860

Il est évident pour qui parle de l’évolution de la mode occidentale depuis le Moyen-Âge que de nombreuses lignes sont consacrées au corset et à ses ancêtres :  corps, grand corps, corps baleiné, etc. Elle s’étend aussi longuement sur un autre élément important, qui a lui aussi beaucoup bougé : l’artifice devant donner de l’ampleur à la robe. Que l’artifice en question soit appelé vertugadin, panier, crinoline, tournure… il a toujours pour effet de donner l’impression d’un corps différent de la réalité, avec toutefois une constante : essayer de souligner la finesse de la taille, que celle-ci soit ou non renforcée par un corset. Avec, parfois, des effets pratiques imprévus, désastreux quand la largeur des jupons entravait tellement les femmes qu’elles ne pouvaient échapper à une catastrophe3, amusants quand il s’agit d’augmenter l’espace disponible dans les lieux publics pour que ces dames puissent y entrer avec leurs robes, voire carrément intéressants quand le fait de porter une robe de 2m de diamètre permettait aux dames d’échapper à nombre de fâcheux empêchés d’approcher par cette muraille d’étoffes.

Autre évolution notable : l’indignation des bien-pensants devant l’évolution de la mode. « Cachez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées », indignation réelle, affichage de vertu ou simple jalousie d’hommes condamnés à devoir voir le fruit défendu sans avoir le droit d’y toucher ? Il ne faut pas oublier que les pamphlets de l’époque, quand l’époque est avant le XVIe siècle, étaient rédigés par des clercs, seuls ayant la science et le temps de les écrire. Qui sait quelles frustrations pouvaient se cacher sous les soutanes de ces pauvres clercs obligés d’entrer dans les ordres pour la simple raison qu’ils étaient troisièmes ou quatrièmes dans l’ordre de succession ! Si on peut comprendre, même à notre époque, qu’ils pouvaient vouer un décolleté trop plongeant aux gémonies, il peut nous sembler absurde de lire ce qui pouvait être écrit au sujet des… hennins, vous savez, les chapeaux coniques des fées dans le Cendrillon4 de Disney… Et pourtant…

Corset et robe 1900, par les Sœurs Callot

Point intéressant : l’autrice interroge plus ou moins à chaque chapitre, donc à chaque période, la pratique du travestissement, c’est à dire le fait pour un membre d’un sexe de s’approprier les vêtements de l’autre. En notant que les raison qui poussaient une femme à prendre l’habit masculin étaient distinctes de celles qui poussaient un homme à faire l’inverse : très pratiques pour une femme, trouver une liberté de déplacement qu’elles n’avaient pas en étant vêtues « selon leur sexe », moins explicites pour un homme – fétichisme, ridicule de carnaval… elle note bien que le travestissement a été l’excuse ayant amené Jeanne d’Arc au bûcher… mais aussi le prétexte invoqué par les ligueurs pour appeler à l’assassinat d’Henry III, considéré comme « trop efféminé » pour pouvoir bien régner, ceux-ci auraient bien vu leur chef, le Duc de Guise, à sa place5. À cette époque, on ne rigolait pas avec la place de chacun, et celle-ci découlait aussi du vêtement.

Tenue de bicyclette, 1900

J’ai bien cherché : les bas et porte-jarretelles ne sont pas mentionnés dans le livre. Enfin, si, je crois me souvenir du moment où elle mentionne que les hommes ont abandonnés leurs bas à l’orée du XIXe siècle, ce qui à mon humble avis est triste pour eux, ça les a empêché de découvrir en masse la douceur du nylon… ceci dit, celui-ci ne viendrait que 150 ans plus tard, pour un règne bien éphémère. La conquête du vêtement masculin pour les femmes découle en partie des luttes féministes, mais surtout de l’évolution des modes de vie et des activités : il est impossible de monter sur un vélocipède en robe, les femmes qui pratiquaient cette activité s’en sont vite rendu compte et se sont adaptées, forçant la main du législateur – l’équitation aurait pu avoir cet effet, mais elle était à l’époque où elle était largement pratiquée plutôt un sport de niche, réservé aux personnes capables d’acheter et d’entretenir un cheval. Le peuple ne montait pas, les rares fois où il devait se déplacer, il le faisait à pied ou sur une charrette.

L’autrice parle, bien sûr, énormément du corset. Voyez-y un biais de confirmation si vous le voulez, j’ai tout de même l’impression qu’elle est en phase avec ce que j’ai pu dire dans mon article sur les controverses : le corset était une contrainte, ce n’était pas une prison destinée à maintenir la femme dans sa sujétion séculaire – il n’y avait pas besoin du corset pour ça, toute la société était organisée de cette manière. Quant à la « libération » apportée par Poiret… c’est bien, il a effectivement supprimé le corset, mais c’était au prix de jupes ridiculement serrées sur le bas des jambes, rendant impossible tout déplacement plus rapide que la marche. Mais une dame n’a bien évidemment pas besoin de courir, n’est-ce pas…? Elle reconnaît une forme de génie à Poiret : celui de la mise en scène de sa propre personne. Et crédite largement quelques femmes de la plupart des avancées, des femmes que l’Histoire n’a pas vraiment oubliées – si je n’avais pas entendu parler de Madeleine Vionnet avant de m’intéresser vraiment au sujet, je connaissais tout de même Gabrielle Chanel et Jeanne Lanvin. Sans oublier Herminie Cadolle, dont l’invention a mis un peu de temps à s’imposer mais se trouve encore aujourd’hui partout, parce-qu’elle permettait de combler un vide laissé par l’abandon du corset.

La partie historique s’achève avec les années 60/70, les dernières que l’autrice considère comme « historiques » dans la mesure où ce sont celles qui précèdent immédiatement sa naissance. André Courrèges et Pierre Cardin y ont évidemment leur place (étrangement, elle oublie l’épouse d’André Courrèges qui, comme celle de Poiret bien avant lui, aurait eu une grande influence sur ses créations), l’arrivée de la mini-jupe et, enfin, d’une mode unisexes avec le costume moderne : jean, t-shirt… aujourd’hui, plus personne n’est choqué de voir une femme habillée « comme un homme », cette notion n’a plus vraiment de sens. Le contraire n’est pas tout à fait vrai, la conclusion se fait fort de rappeler que si l’égalité existe maintenant en termes de vêtements, si le droit, en Occident, ne fait plus vraiment de différence entre femmes et hommes, si les progrès en quelques dizaines d’années ont été phénoménaux, on n’est pas encore tout à fait au bout du chemin.

Si vous voulez voir d’autres avis sur ce livre, et éventuellement des liens pour l’acquérir, je vous propose de consulter la page qui lui est consacrée sur le site Babelio.

Une fois n'est pas coutume, les photos qui illustrent cet article sont des photos personnelles, que j'ai tirées de ma visite du Palais Galliera à Paris. Où j'ai découvert que, depuis que j'ai commencé ce site, j'ai appris énormément de choses sur l'Histoire de la mode !
  1. « de tout temps » ou « de tous temps » ? La personne curieuse pourra avec profit lire cette page, et se dire que j’ai choisi l’orthographe avec « tous » en toute conscience. ↩︎
  2. pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, François Ier était un Valois, les Bourbon ne sont montés sur le trône de France que 80 ans après son règne, avec la personne du bon roi Henry IV. Pour en descendre définitivement en 1848 – oui, la maison d’Orléans qui régna sous la Monarchie de Juillet descend aussi de Henry IV. Et même de Louis XIII. ↩︎
  3. la plus dramatique d’entre elle étant l’incendie du Bazar de la Charité en 1885, qui a fait 125 victimes dont 118 femmes, et a eu une influence déterminantes sur nos actuelles normes anti-incendie. ↩︎
  4. à moins que ce ne soit la Belle au Bois Dormant…? J’ai peu de souvenirs des vieux classiques… ↩︎
  5. par malheur, celui-ci fut assassiné aussi, sur ordre… d’Henry III, « il est plus grand mort que vivant ! » ↩︎


2 réponses à « Parées ! »

  1. Beau résumé et bel article !

    Aimé par 2 personnes

    1. Merci 😊

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