Un bas nommé « Désir »

Photo Sodibas montrant les jambes d'une femme, gainés dans des bas à diminution.

L’Alsace magazine, 11/09/1999

À côté du bas jetable en élasthanne, il existe un bas d’exception : le bas nylon. Succès immédiat en 1938 aux États-Unis, il connaît son heure de gloire dans les années 50, détrôné par les collants en 1965. Depuis 1980, il revient sur les podiums et dans l’intimité des élégantes.

Ce qu’il faut dire de fadaises pour voir enfin du fond de son lit un soutien-gorge sur une chaise, une paire de bas sur un tapis…», chantait Nougaro dans « Les Don Juan » pris dans les griffes des séductrices. Et ce qu’il faut lire de fadaises pour tout savoir du bas…

Avant que le bas ne devienne un symbole de la séduction, incarné à la fin de la guerre par Betty Page et les pin-up américaines en nylon, le bas était de soie. Le premier Français à en porter est le roi Henri II en 1569 pour le mariage de sa sœur Marguerite. Le métier à tricoter mécaniquement les bas aurait été inventé par l’Anglais William Lee. Arrivée en France en 1600, la machine ne tisse que la soie et la laine, puis le coton, à partir de 1685. Les bas étaient alors portés tant par les hommes que par les femmes. Personne n’a cependant jamais chanté ou loué le pouvoir de séduction des hommes en bas.

Monnaie d’échange pour espions

L’histoire du bas bascule complètement en 1937 avec la découverte du nylon par l’Américain Wallace H. Carothers. Chercheur en physique-chimie chez Du Pont de Nemours, Carothers utilise les initiales de ses assistantes pour baptiser sa trouvaille : Nancy, Yvonne, Louella, Olivia et Nina. Cette fibre magique, légère, infroissable et transparente, aussitôt utilisée pour fabriquer les bas, imite avantageusement la soie. C’est le succès immédiat auprès des femmes qui découvrent la coquetterie de faire crisser le bas à chaque croisement de jambes. Délicat, le bas nylon est aussi très solide. Une photo du livre de Lili Sztajn, « Histoire du porte-jarretelles » (Éditions La Sirène) montre Carothers en train de tester son bas lesté d’une pierre. Mais la production de nylon en ces temps de guerre se concentre sur la seule fabrication de parachutes et de bâches. Les Américains collectent les bas usagés qui servent à confectionner des sacs de poudre à canon. Les seuls bas nylon fabriqués pendant la guerre sont destinés aux agents secrets : ils sont une monnaie d’échange plus attractive que les devises. Ils deviennent à ce point indispensables qu’ils figurent en premier sur la liste des GI’s parmi les denrées à apporter en Europe. Bientôt, les femmes ont plus d’un bas dans leur sac : une publicité des années 50 montre une Américaine en train d’attacher sa voiture avec un bas pour la remorquer.

Mieux que la teinture

Quand le bas nylon débarque en France, c’est un succès foudroyant. On peut enfin jeter aux orties les tubes de teinture pour jambes qui imitait les bas pendant la guerre et qui dégoulinait aux premières pluies. Yves Riquet, gérant de Sodibas et passionné par le bas nylon (voir interview1), se souvient de la maison familiale, où pendait chaque jour une paire de bas sur un fil à linge. « C’était facilement lavable, ça séchait vite et c’était solide.» Et si les bas filaient ? Fini le temps où on raccommodait les bas de grand-mère : on les jetaient. C’est l’entrée de plein pied -et quel pied- dans la société de consommation. Le marché du bas évolue rapidement : du bas à couture, reconnaissable à son talon flèche et ses diminutions sur le mollet, celui dont les puristes disent que « comme le cygne, il n’est vraiment beau qu’avec son reflet, le talon aiguille », on passe au bas sans couture à partir de 1958. « Le métier circulaire pour le nylon arrive en France en 1955, mais il avait mauvaise presse. La forme du bas disparaissait au bout de deux lavages. A la fin des années 50, la fibre s’est améliorée. Elle permettait un moulage à chaud qui garantissait sa forme », assure Odile Premel, titulaire d’une maîtrise d’archéologie moderne sur le bas2.

Tué par le collant

Quand apparaît la minijupe en 1964, le bas nylon se révèle aussi vite dépassé qu’il est devenu indispensable. Des revues titraient alors audacieusement : « Comment ne pas être ridicule en bas et minijupe ? » Un an plus tard, les collants sonnent le glas du bas nylon. Et pour qu’ils soient entièrement extensibles, on ajoute dans les années 70 des élasthannes au nylon. Ces « bas sans issue », selon Yves Riquet, provoquent l’ire de nombreux amateurs : « Quand on revoit les images de ces femmes en panty qui pullulaient dans les magazines, on se demande grâce à quelle perversion un homme aurait pu être inspiré par cette cuirasse élastique », s’insurge Cécil Saint-Laurent.

Après une décennie sans bas ni porte-jarretelles, la styliste Chantal Thomass ramène le bas sur le devant de la scène au début des années 80.

Pin-up en bas couture

Photo by Matej Simko on Pexels.com

Lentement, mais sûrement, il reprend sa place. S’il ne représente que 2 % des 158 millions de paires de collants vendues en France en 19983 (source : Fédération de la Maille), sa consommation reste constante, quand celle du collant baisse régulièrement. Les « vrais » bas nylon, sans élasthanne, font leur réapparition depuis peu chez Sodibas4 et dans la collection Hiver 1999-2000 de Chantal Thomass : « Ça fait une jambe différente, transparente. C’est plus sexy que les collants. C’est un clin d’œil aux années 50. La couture, je l’ai traitée comme un gag, pour recréer le coté pin-up », s’amuse la créatrice. Sexy donc, la femme qui porte aujourd’hui bas et porte-jarretelles s’offre un petit luxe et s’affiche séductrice : « Le revers du bas avertit qu’on entre dans la partie invisible : on atteint alors l’interdit, l’intimité », confesse Yves Riquet. « C’est le choix d’un plaisir personnel avant tout. J’ai rencontré des femmes qui ne portent que ça, mais c’est rarissime. Le bas à jarretelle est plutôt un accessoire qu’on a toutes dans nos armoires mais qu’on porte rarement », avoue Chantal Thomass. Ce qui en fait un accessoire intemporel au même titre que le porte-jarretelles et le corset. Pour cela, « il ne disparaîtra pas. » Tant mieux : on pourra exhumer et redonner son sens à une remarque oubliée d’Arletty dans « Tempête » de Bernard-Deschamps : « La jarretière est la dernière faveur avant le bonheur. »

« Porter un porte-jarretelles à l’époque du collant ne revient pas à en porter un à l’époque où c’était commun. Cette volonté de singularisation suppose chez la femme la certitude que sa féminité est liée à la nudité du sommet de ses cuisses et qu’elle est symbolisée par le ruban qui se tend sur sa peau jusqu’à la crête du bas.» Jacques Laurent, « le nu vêtu et dévêtu ».

A.V.

Nouvel article issu des archives NylonPur. Un article paru en 1999 dans le magazine L'Alsace Magazine, et qui malgré son âge ne me semble pas avoir pris une ride. On me rétorquera que ce n'est pas difficile pour un article qui parle du passé, il se trouve que celui-ci fait un peu de prospective aussi, et que ce qui est dit sur le sujet me semble au regard des 25 années qui ont suivi d'une grande clairvoyance.
J'ai conservé le texte original, j'ai pris la liberté d'y ajouter des photos pour l'illustrer.
  1. je ne suis pas sûr d’avoir cet interview précis, mais j’ai quelques discussions avec Yves Riquet, à l’écrit ou à l’oral — pour l’oral, ça sera sur la chaîne Youtube de NylonPur. ↩︎
  2. il faudra que je me renseigne sur la formation associée ! ↩︎
  3. je suis désolé, je n’ai pas eu la possibilité de voir si des chiffres un peu plus récents étaient disponibles… je me note ça dans un coin de ma petite tête pour en parler si j’en trouve ! ↩︎
  4. Sodibas a cessé de vendre des bas, sa mission accompli. Le flambeau a été passé à Cervin. ↩︎


2 réponses à « Un bas nommé « Désir » »

  1. je me vois encore tout gamin porter les bas de ma mère chez une voisine remailleuse de bas. Innocent à l’époque, je lui avais offert une paire de bas « Têtu » de Le Bourget avec un âne pour la publicité .

    mon intérêt pour les bas et la lingerie était precoce !!

    on conseillait de remplacer une courroie de ventilateur cassée par un bas nylon.

    mon prof d, anglais disait que nylon est l’abréviation de Now You Lousy Old Nippons. Il y a d,autres interprétations

    merci pour vos articles souvent intéressants !!

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    1. Je pense être né quelques années plus tard, je n’ai connu ma mère qu’en collants… et pourtant, me voilà à parler de bas, et à porter moi-même du nylon 😁
      Pour la dernière partie, je la dois clairement à l’auteur du site dont je reprends les articles ici le samedi (qui est aussi l’auteur de la photo qui sert d’en-tête à celui-ci), site qui, à l’époque, m’avait fait réaliser que le bas n’est pas qu’un objet pornographique, et a planté la graine qui allait me donner le goût du vrai bas.
      Je suis toujours un peu surpris de voir des articles dire que « en ajoutant de l’élasthanne les bas sont devenus plus résistants », mon expérience semble indiquer le contraire.

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