Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas réagir ici à un message sur un réseau social quelconque, mais à un article de journal. Cet article… bon, je l’ai lu via un repost sur un réseau, j’admets, mais surtout, cet article m’a fait me poser de sérieuses questions. Que raconte-t-il, cet article ? Ne vous inquiétez pas, je vais non seulement vous en proposer un résumé, mais aussi un lien pour aller le lire in extenso de votre côté. Allons-y !
Dans l’article…
C’est un article qui évoque le quotidien de jeunes lycéennes ayant choisi de faire la spécialité « Maths » en première / terminale. Il s’agit d’une filière où elles sont moins nombreuses que les garçons, 31% en 2021. Celles dont parle l’article y évoquent en long, en large et en travers le sexisme ordinaire qu’elles rencontrent au quotidien, dans leur classe. Et proposent force exemples de ces difficultés : l’une a le sentiment que les garçons ne lui adressent pas la parole, de toute façon ils estiment que ça ne sert à rien, ils ne veulent pas sortir avec elle ! Phénomène récurrent : si l’un d’entre eux a de moins bonnes notes qu’une fille, il a « la honte », il s’est fait battre par une fille !
Autre problème rencontré : après qu’une de ces jeunes filles a été la seule à réussir un exercice, ses camarades sont venus demander des explications… à un garçon à qui elle l’avait expliqué, mais certainement pas à elle. Et les exemples s’enchaînent, de mon point de vue de vieux tous plus idiots les uns que les autres.
Vient ensuite une tentative d’explication du phénomène, avec un coupable tout trouvé, outre la famille et l’école : le masculinisme inoculé par les réseaux sociaux, bien sûr, qui montrent à quel point les hommes sont supérieurs, et bien sûr les blagues sexistes. Le résultat : des élèves qui estiment normal qu’à travail égal, les femmes soient moins payées que les hommes, et que de toute façon, les hommes sont faits pour les maths et les sciences, contrairement aux femmes.
Résultat : les jeunes filles sont intimidées, et n’osent pas se lancer dans ces filières qui, de fait, sont de plus en plus réservées aux garçons. Les seules qui passent le cap sont celles qui ont suffisamment de caractère pour ne pas se laisser influencer. Des solutions ? Au niveau institutionnel, un « référent Théodule égalité » qui doit, pour le coup je me sens obligé de citer directement le site de l’Éducation Nationale tellement c’est mignon :
Chaque établissement du second degré nomme un ou plusieurs référents et référentes égalité. Leur rôle consiste à diffuser une culture de l’égalité au sein de l’école :
- la mise en œuvre d’actions éducatives pour sensibiliser les élèves
- la diffusion d’information et la formation équipes éducatives
- la mobilisation à l’occasion du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes
- le développement d’actions partenariales avec les associations promouvant l’égalité entre les filles et les garçons
Les référents égalité agissent en lien avec les responsables de l’orientation, de l’éducation à la sexualité, de la prévention de la violence et du harcèlement, et de la vie collégienne et lycéenne de l’établissement.
En pratique, qui sont ces référents…? Des membres de l’équipe enseignante (en décodé : des profs) qui sont désignés ou nommés, qui ne se voient pas allouer de temps particulier ni de rémunération pour ce travail. Franchement, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?
L’article se conclut sur une suggestion révolutionnaire : peut-être, éventuellement, on pourrait envisager d’éduquer les garçons…? Il semble que l’Éducation Nationale a pris le sujet à bras le corps : cette éducation fait maintenant partie du programme, de la maternelle à la terminale. Est-ce que ça suffira à nous sortir de l’ornière ?
L’article entier est disponible sur le site du Parisien.
Mon expérience
J’ai été au lycée à une époque où on ne se posait pas vraiment, à ma connaissance, ce genre de questions. Je ne veux pas dire qu’il n’y avait pas de stéréotypes liés au genre, mais je n’ai pas l’impression qu’il y avait une volonté à changer significativement l’orientation des gens. À cette époque, dans les lycées d’enseignement général, il y avait 3 filières qui venaient d’être mises en place : S, ES et L. La S (scientifique) était considérée comme « la voie royale », celle qui permettait d’aller en prépa puis en école d’ingénieur ou en fac de médecine, elle reprenait les anciens bacs C, D et E. La ES (Économique et Sociale) était un peu intermédiaire, plus orientée vers des métiers sociaux ou de communication — journalisme, publicité, commerce…, héritier du bac B. Enfin, la série L, celle qui permettait d’aller en fac de socio ou de devenir prof de lettres classiques, par exemple. Héritière du bac A.
La répartition entre ces filières : les filières L et ES étaient très féminines, la filière S était partagée, dans mon lycée la S était partagée en 2 sections, selon l’option choisie : biologie ou technologie. J’étais du côté « technologie ». Côté biologie, il y avait à peu près 50% de filles. Côté technologie, sur mes 3 ans de lycée j’ai eu une moyenne de 2 filles pour 30 élèves. Mais à aucun moment il ne serait venu à l’idée de quiconque dans la classe de considérer que, parce-qu’elles étaient des filles, elles étaient naturellement moins douées que les garçons, ou moins légitimes à être là. Pour certains, ces filles étaient des copines, parfois des ex. Pour d’autres, ils rêvaient peut-être de pouvoir aller plus loin, sans trop oser demander, c’est compliqué, le lycée, de ce côté. En ce qui me concerne, si l’une d’entre elle avait une question ou un problème, elle savait que je lui répondrais sans attendre quoi que ce soit en retour — sans vouloir me vanter, de par mes notes, c’étaient plutôt elles qui me posaient des questions que l’inverse.
Après le lycée, chacun a suivi sa route. La mienne a rejoint une classe prépa. Là aussi, très faible représentation féminine : il n’y avait qu’une fille dans ma classe, qui a abandonné au bout de quelques mois. Pas à cause de ses camarades de classe, mais plutôt à cause de la prépa elle-même, et parce-qu’elle avait la possibilité de partir vers une autre filière qui lui semblait préférable. Dans la classe, elle était appréciée non pour sa féminité, mais pour ses compétences — dans ma prépa nous étions très solidaires, au-moins entre internes, et elle n’hésitait pas, quand le règlement de l’internat le permettait, à descendre pour travailler avec nous.
Quid de l’école d’ingénieur ? 10% de filles dans nos promotions, ce n’est pas énorme, c’était beaucoup plus que ce à quoi j’étais habitué. Je logeais dans les résidences de l’école, elles étaient mixtes avec un bloc sanitaire central, je n’ai pas conscience du moindre problème posé par cette situation, sachant que les étages où je logeais étaient plutôt riches en filles. On respectait autant que possible l’intimité de chacun, on travaillait ensemble, des filles se regroupaient avec leurs copines (souvent objectivement plus sérieuses que les garçons), mais il n’y avait pas de règle ni implicite, ni explicite. La seule information qui circulait principalement chez les garçons, c’était que l’école de l’autre côté de la rue, une école de commerce, était beaucoup plus féminisée que la nôtre1. Comme quoi, l’idée de traverser la rue n’a rien de neuf !
De mon côté, je suis particulièrement reconnaissant à cette camarade de promo qui m’avait gentiment confié ses cours de mécanique quand j’ai dû rattraper la matière, son application à prendre des notes m’avait beaucoup aidé à réviser !
Au final : les différences garçon / fille étaient évidentes, personne ne cherchait à les cacher. Mais il s’agissait de différences physiques, organiques, et certainement pas intellectuelles. Et le respect l’était tout autant : une personne n’était pas dévalorisée parce-que fille, les mecs ne se regroupaient pas systématiquement entre eux parce-qu’ils se sentaient supérieurs, je n’ai pas l’impression non plus que les filles se sentaient inférieures, elles n’en avaient à ma connaissance aucune raison, celles que j’ai pu côtoyer n’ont en tout cas jamais parlé de problèmes de cet ordre.
Le monde était-il idéal ? Certainement pas, il y avait aussi des imbéciles, des profs qui faisaient des remarques sexistes ou des élèves un peu bas du front. Cependant, en cherchant dans mes souvenirs, j’ai l’impression que les jeunes filles de l’article mentionné en première partie ont grandi dans un pays qui n’est pas le mien…
Les questions
À ce niveau, j’en ai plusieurs, bien sûr. La première, sur notre société actuelle, est : qu’est-ce qu’on a raté ? Comment avons-nous pu régresser à ce point, malgré les lois, malgré les injonctions permanentes ? Il me semble qu’à la fin du XXe siècle, le progrès n’était pas décrété d’en haut, mais il advenait. Et que depuis que les autorités ont pris le sujet à bras le corps, la situation régresse largement. Causalité ? Sans doute pas, d’autres changements se sont produits dans le même intervalle, qui peuvent avoir eu leurs effets…
Mais alors que j’essayais de comprendre ça, je me suis posé une autre question : dans l’article, le journal laisse entendre que le reportage a été réalisé dans un endroit précis, dans les environs de Lille. Aucune précision sur le quartier, aucune précision sur l’environnement, en ce qui me concerne mon lycée était dans une petite ville tranquille d’Alsace, est-ce que ça peut jouer sur ce genre de détails ? Pour le vérifier, j’ai posé la question à ma nièce, qui vient juste d’en sortir. J’attends sa réponse, je mettrai l’article à jour en conséquence.
Si ce décalage est réel, je pense qu’il est normal que, de mon point de vue, il n’y ait pas de problème dans l’accès à ces filières pour les femmes, et que si les professions d’ingénieur sont plutôt masculines en France c’est peut-être parce-que les filles s’orientent peu vers ces métiers, non qu’elles en aient été découragées mais plutôt parce-qu’ils les intéressent moins. À mon époque elles s’orientaient plus volontiers vers des professions médicales — pas seulement pour des études d’infirmières, laborantines ou de sage-femmes, mais aussi pour des études de médecine (plus de la moitié des diplômés de médecine sont des diplômées depuis 2022, source, il me paraît d’ailleurs surprenant qu’on ait attendu 2023 pour se demander comment ces femmes sont perçues par les patients et se dire qu’elles soufrent peut-être de stéréotypes2). Avec tout ça, je me pose tout de même une question… est-ce qu’on estime qu’une société est harmonieuse à partir du moment où autant de femmes que d’hommes exercent l’ensemble des professions…? Je ne sais pas trop, mais je doute que ça soit une bonne chose, j’ai l’impression que les moyens pour arriver à un tel résultat n’ont rien de sympathiques. Et je ne dis pas ça en tant qu’homme, mais en tant qu’humain attaché aux libertés individuelles…
Mise à jour
Comme annoncé un peu plus haut, j’ai posé la question à ma nièce. Et elle m’a répondu. Je l’avais dit je crois : elle a fréquenté le même lycée que moi, environ 28 ans plus tard3. Si elle n’a pas choisi la même filière que moi (de toute façon, la filière S option Technologie Industrielle spécialité Maths n’existe plus, mais elle n’a pas pris d’option Maths non plus), elle a des copines qui l’ont fait. Elle m’a dit deux choses : on trouve encore des cursus avec plus de filles et d’autres avec plus de garçons. Mais surtout, elle n’a jamais entendu parler de telles réflexions, ni directement, ni indirectement à travers ses copines qui ont suivi ces spécialités. Pour bien enfoncer le clou je vais reprendre ses mots exacts :
de toute façon, connaissant un peu les profs enseignant ces matières, je ne pense pas qu’ils auraient laissé passer ce genre de commentaire (en tout cas pour la plupart).
Est-ce que la plupart des lycées sont comme celui-ci, ou bien celui présenté par le journal est représentatif ? Je n’ai pas les informations nécessaires pour trancher, deux exemples ne suffisent pas, si j’ai ma petite idée elle relève de l’opinion personnelle et n’a pas vraiment sa place ici. Je dois avouer, et j’en demande pardon aux quelques journalistes qui fréquentent ce site, que j’ai un petit préjugé sur la profession journalistique, qui a l’art de choisir les lieux collant au récit qu’elle veut faire. Et qui peut leur en vouloir ? Quand un lieu est sans histoire, il n’intéresse personne !
Image d'illustration générée par IA.
- celle qui allait devenir ma première épouse y étudiait d’ailleurs, mais c’est une autre histoire et celle-là, il n’est pas impossible que je la garde pour moi ! ↩︎
- pour l’anecdote mon dernier médecin traitant était une femme, qui avait l’avantage d’être très compétente et l’inconvénient d’être très proche de la retraite… ↩︎
- je crois que je viens de me prendre un gros coup de vieux, là ! ↩︎

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