J’ai évoqué ce point dans mon (vieux) billet sur les objections, mais une autre lecture m’a donné envie de revenir dessus.
Je suis tombé récemment1 sur le début d’un billet sur LinkedIn, où une femme s’interroge sur les raisons qui pourraient pousser une femme à choisir de porter des bas avec un porte-jarretelles. J’ai au passage été assez fier de moi, dans la mesure où elle commence par énoncer les raisons de ne pas en porter, et globalement elle rejoint bon nombre des objections que j’ai déjà listées. Si j’écris ici, ce n’est pas par rapport à ce billet, mais par rapport à une des réactions qu’il a suscitées, une réaction masculine, particulièrement négative. Je cite in extenso :
Est-ce que le porte jarretelles vous apporte un quelconque confort ? Tout comme le string j’y vois plutôt un accessoire inconfortable pour les femmes et pour lequel on évoque le fantasme et le désir masculin pour s’autoriser à le porter. Mais au final ne serais ce pas encore un reliquat de la société machiste dans laquelle la femme doit être belle, désirable, soumise à tout moment ?!
Et je suis pas certain que tous les hommes aiment ça…
Un premier point : si sa dernière phrase tombe sous le sens, il en faut après tout pour tous les goûts, je ne suis bien sûr pas d’accord avec le reste de son message, je trouve son analyse particulièrement mal informée. Je pense qu’il s’agit d’une personne qui ne sait pas de quoi elle parle, soit par désintérêt pour le sujet ou simple méconnaissance, soit par une frustration non assumée. Au passage, à titre purement personnel, je réponds « oui » sans la moindre hésitation à sa première question, mais je suis un homme, je ne compte pas.
Ceci étant, je suis ouvert à la contradiction et j’apprécie de lire des avis contraires aux miens. Si j’avais la science infuse, je n’écrirais certainement pas ici. Cependant, un point me gêne énormément dans son commentaire : cet homme décide qu’un accessoire féminin doit être mis au rebut, parce-qu’il estime, lui, que cet accessoire est un signe d’oppression. Il le décide lui-même, et se permet de faire la leçon à une femme sur le sujet, en expliquant à la femme que cet accessoire dont elle fait l’apologie est « une relique d’un passé machiste ». Pour le coup, on a un bel exemple d’un point dont j’ai parlé aussi !
Les bas associés au porte-jarretelles sont-ils un symbole de « soumission féminine au désir masculin » ? Dans certains cas, sans doute, je connais quelqu’un avec qui j’aimerais d’ailleurs évoquer ce sujet à l’occasion, c’est une experte sur l’ensemble de ces points. Mais sans avoir particulièrement discuté avec elles, je suis sûr que les Muses du nylon dont les sites ou les pages sont dans mes liens ont un certain caractère qui les place loin de l’image de la « femme soumise » selon ce petit monsieur. La chose m’a d’ailleurs été confirmée par des hommes qui, eux, en ont rencontré certaines personnellement2.
Ce comportement me fait penser à, par exemple, un homme qui expliquerait à une femme spécialiste de la Philosophie des Lumières l’importance pour elle de la liberté d’expression, en lui coupant la parole à chaque fois qu’elle essaierait de parler pour lui dire à quel point il se trompe, sans bien sûr écouter un seul de ses arguments3. La démarche me semble viciée, contradictoire par essence. Je ne vois pas comment on peut dire à une autre personne : ce vêtement que tu as choisi librement et sans contrainte de porter est une marque d’oppression patriarcale, en conséquence moi, homme, je te demande de l’enlever.
Il y a emprise patriarcale quand le choix qui est laissé à la femme dans sa tenue se résume à une couleur, à une forme.
Il y a emprise patriarcale quand une femme se fait insulter, quand une femme reçoit des remarques désobligeantes par rapport aux vêtements qu’elle a choisi de porter.
Il y a emprise patriarcale quand une femme qui ne porte pas les « bons » vêtements, tels que décidé par son entourage ou les personnes qui fréquentent les mêmes quartiers qu’elle, risque le viol quand elle se promène dans la rue, parce-que dans ces conditions des personnes qui se prennent pour des hommes la voient comme un bout de viande tout juste bonne être utilisée comme un objet sexuel.
Il y a emprise patriarcale quand un homme se permet d’expliquer à une femme, sans qu’elle lui ait demandé son avis, que ce qu’elle a choisi de porter n’est pas convenable, risque de donner une mauvaise image, risque de « déshonorer la famille », « déshonorer le quartier », « déshonorer le pays ».
Il y a, enfin, emprise patriarcale quand un homme décide que, parce-qu’une femme montre des choses qu’il n’a pas l’habitude de voir — que ce soit une cheville, une cuisse, une mèche de cheveux, le bout d’un œil —, alors elle montre qu’il peut faire avec elle ce qu’il veut. Là, oui, il y a emprise patriarcale.
Une femme qui a choisi de porter des bas avec un porte-jarretelles mérite le respect. Respect pour sa tenue, respect pour son choix, respect pour ce qu’elle est : une femme, respect pour ce qu’elle est : un être humain.
Une femme qui a choisi de porter des bas, une femme qui a choisi de porter des collants, une femme qui a choisi de porter un pantalon de sport, une femme qui a choisi de porter 4, mérite exactement le même respect. Parce-que derrière la femme qui porte ceci ou cela, il y a, là encore, un être humain qui vaut a priori autant que ce que vaut a priori n’importe quel homme. Si tous les hommes étaient capables de ce niveau de respect, alors on ne parlerait plus de cette cochonnerie qu’est l’« emprise patriarcale ».
J’invite toutes les personnes qui veulent réellement lutter contre cette emprise à bien réfléchir à l’endroit où elles veulent mener leur combat, parce-qu’il y a malheureusement encore, sur cette planète, au XXIe siècle, des lieux où cette emprise est forte, où elle a besoin d’être combattue et où des femmes la combattent effectivement. Et parfois, ces femmes meurent en la combattant. Ces lieux, ce ne sont pas les blogs ou les articles qui parlent de nylon, ce ne sont pas non plus les « sujets risqués » de féministes en carton pâte ou d’hommes ayant besoin de se rassurer sur le contenu de leur slip sur les réseaux sociaux. Ne vous trompez pas de combat !
Pour mémoire, j’ai mentionné un sujet similaire dans un autre article, en septembre dernier.
La photo d'illustration de cet article est une photo NylonPur.
- je pense que « récemment » est optimiste, si mes souvenirs sont bons c’était au printemps dernier… j’ai mis un peu de temps avant de me décider à publier cet article ! ↩︎
- si vous voulez des noms, NylonPur ou Le Boss sont de bons exemples. ↩︎
- oui, oui, je sais, c’est l’article que j’ai mis en lien un peu plus haut. ↩︎
- non, il ne manque pas de mot, mettez-y ce que vous voulez ! ↩︎

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