Les bas d’Ernest

Photo en noir et blanc d'une femme assise tenant son bas

Pas question ici d’un quelconque ours, aussi sympathique soit-il quand il est accompagné de sa Célestine de souris, non, je parle d’un autre Ernest qui, bien qu’ayant eu des liens profonds avec la France, n’en était pas citoyen : Hemingway. Pas pour m’interroger sur cet auteur précis, qu’en fait je connais assez mal (j’ai dû lire et apprécier le Vieil Homme et la Mer une fois, il y a une grosse vingtaine d’années, mais je pense que ça ne suffit pas à faire de moi un fan) mais plutôt sur sa langue. L’usage est plutôt de parler de “langue de Shakespeare”, après tout un anglophone qui parlera du français dira sans aucun scrupule “langue de Molière” sans que ça ne choque beaucoup de monde. J’ai choisi d’éviter le vieux William, et j’ai de bonnes raisons pour ça. D’une part, comme diraient nos amis d’outre-eaux (pour englober la Manche et l’Atlantique), ça serait tellement cliché1 ! Ensuite, et plus important : bon nombre des mots que je veux évoquer ici n’existaient pas à l’époque des deux auteurs de référence, on peut difficilement parler de leur langue dans ce cas. Hemingway, par contre, leur a été contemporain, et je le suppose assez connu pour être évocateur pour tout le monde. Fin de l’explication, permettez que j’aborde le vif de mon sujet !

Les mots des bas

Trois grosses chaussettes tricotés en blanc suspendus à une cheminée décorée de branches de conifères et de lumières féériques.
Ce que vous trouvez en cherchant « stockings »

L’anglais est pénible quand il s’agit de parler de bas. L’anglais est pénible parce-que son vocabulaire est extrêmement limité. C’est simple : que ce soit pour habiller un pied, une jambe ou pour recevoir les cadeaux du Père Noël, les anglophones utilisent le même objet : “stocking”. Cet objet désigne donc ce qu’en français on appelle un bas, bien sûr, mais aussi une chaussette voire une socquette ou un mi-bas. Et ne me parlez pas du mot “socks”, je n’ai jamais vu un anglophone parler de ses “Christmas socks” ! Pour lever l’ambiguïté on peut spécifier “nylon stocking”, ce qui permettra de designer clairement le bas tel qu’on l’imagine en France, mais ça ne se fera pas sans ajouter une nouvelle imprécision. Vous le savez si vous me suivez depuis un certain temps, je fais une différence claire entre un bas nylon, composé exclusivement de cette matière, et un bas extensible dans lequel le fabricant mettra du Lycra dans son nylon. J’adore porter le premier, le second me laisse en général plutôt froid, voire m’insupporte assez vite si je ne suis pas très motivé à le porter le matin. L’anglais permet-il de faire cette distinction ?

Femme posant à genoux avec des ailes noires, portant un ensemble de lingerie et des bas en résille.
Photo by Carlos Santiago on Pexels.com

Petite remarque au passage : j’avais vu il y a quelques temps une vidéo sur YouTube  où une femme disait tester « les bas nylon de 6 magasins différents ». Cool, me suis-je dit ! 6 magasins qui en vendent, c’est plus que je n’en ai trouvé par icite ! Les premières secondes de la vidéo m’ont permis de réaliser mon erreur : la femme en question était Québécoise. Et au Québec, ce qu’ils appellent « bas nylon », c’est ce que chez nous autres maudits français on appelle des collants. Calice ! Si seulement l’imprécision de l’anglais restait à l’anglais on pourrait gérer, mais si elle vient dans le français à travers le québécois, on n’est pas rendus ! En fait, je ne sais même pas d’où vient cette appellation au Québec, il me semble qu’en anglais, collants se dit tights. Rien à voir, donc. Peut-être un esprit de contradiction francophone…?

Mention spéciale pour les bas et collants largement ajourés, qu’en français on appelle “résille” — je sais qu’ils ont leurs afficionados. C’est joli, “résille”, c’est un filet léger qu’on pose sur la chevelure pour compléter une coiffure ou tenir un chignon. Bon, la résille anglophone n’est rien de plus qu’un filet de pêche (fishnet). De la coiffure au chalutier,  en règle général les danseuses de cancan en portent, mais je pense que même pour elles, ce grand écart est compliqué !

… et les mots pour les tenir !

Le premier de ces mots est très simple : commençons, si vous le voulez bien, par la jarretière. Honni soit qui mal y pense, c’est après tout un des plus anciens ordres de la chevalerie britannique, elle ne doit donc pas être trop maltraitée dans la langue ! Il est vrai qu’elle a son mot à elle, qui me semble partager plus ou moins la même racine que le terme français : garter. Tout est au mieux dans le meilleur des mondes : la jarretière tient le bas, on est clairs. Sauf que oui, mais non…

Dans les années 1870 était inventé ce que nous appelons ici le porte-jarretelles. Enfin, ça, c’est pour l’invention française, en pratique le même objet a été inventé plus ou moins à la même période aussi de l’autre côté de l’Atlantique. De qui les anglais l’ont-ils reçu ? Difficile à dire pour qui n’est pas spécialiste du sujet (ce qui inclut, je dois l’admettre, votre serviteur). Par contre, une chose est sûre : les deux rives de l’Atlantique n’utilisent pas le même mot pour désigner l’objet. L’Angleterre voit les jarretelles comme des bretelles, suspender dans la langue locale. Donc la ceinture qui s’y attache s’appelle très logiquement suspender belt. Outre-Atlantique, on voit avant tout le rôle de l’objet : ce truc là, ça fait la même chose que les vieilles jarretière, non ? Et d’ailleurs, ces élastiques, là, c’est un peu des jarretières aussi. Du coup, la ceinture en question, on va l’appeler garter belt, ceinture à jarretières. Pourquoi mettre de la jarretière là-dedans ? Je ne sais pas, mais ça a été fait comme ça. Ceci dit, au vu de certains modèles récent qui viennent avec une sorte de ruban prenant place autour de la cuisse, le nom est peut-être prophétique…? Ça me semble douteux, après tout ces choses ont été inventés principalement comme des porte-jarretelles Canada Dry : ça ressemble, on dirait que ça en est mais c’est tellement mauvais que ça ne peut pas faire ce travail, donc on met un truc pour faire comme si…

Mais… le reste ?

Une jeune femme posant sur un canapé, vêtue d'une robe légère, de bas et de gants transparents, avec un style élégant et vintage.

Nous avons vu les bas et le porte-jarretelles. Mais il existe d’autres vêtements pour tenir les bas : gaines, guêpières, corsets, serre-tailles… Pour ceux-là, les sites de vendeurs comme What Katie Did sont une aide précieuse. Corset est le mot le plus simple, les deux langues partagent le même. Pour le reste, j’ai le sentiment que c’est autant le bazar en anglais qu’en français et qu’on trouve des guêpières que je préfère qualifier de jouets vendus sous le nom de corset, notamment. Les gaines s’appellent girdles, un serre-taille serait littéralement un waist cincher, même si le terme semble plutôt désigner une sorte de corset court. Ici, une pièce me semble intéressante du point de vue du vocabulaire (et uniquement du vocabulaire) : la guêpière.

Naïvement, un français un peu anglophone se dirait en voyant les noms des pièces de lingerie, qu’une guêpière doit être ce qu’on peut trouver sous le nom de waspie. On retrouve la guêpe dans les deux mots, chacun dans sa langue respective. Mais non, ça serait trop simple, pauvre naïf ! Non, le vrai mot pour désigner la guêpière en anglais est basque. Et si vous trouvez que ce mot évoque une province franco-espagnole, ce n’est pas tout à fait un hasard, c’est lié à l’origine, française, du mot.

Femme en lingerie sur une chaise, pose artistique mettant en valeur les détails du vêtement.
Photo by Ronin . on Pexels.com

Il se trouve qu’en français, une basque est une partie d’un vêtement aussi, largement oubliée dans ce qui nous tient lieu de mode “fast fashion” aujourd’hui : ce mot désigne une pièce de tissu tombante sous la taille de certains vêtements, un exemple typique étant les queues de pie ou la partie arrière de la veste d’un costume masculin. Ce nom viendrait d’une partie du vêtement traditionnel basque qui se serait imposé dans la mode au XVIIIe siècle d’abord en France, puis en Angleterre. En France, il a plus ou moins gardé son sens original, même s’il n’est plus guère utilisé que dans l’expression “lâche-moi les basques”, qui a tendance dans le langage courant à devenir “lâche-moi les baskets” — pauvres chaussures qui se retrouvent attirées dans une expression où elle n’ont rien à faire pour une bête raison de proximité phonétique… Outre-Manche, le terme a désigné certains corsets longs, et il se limite maintenant à “un soutien-gorge dont l’étoffe descend jusqu’à la taille ou aux hanches”. Ce qui correspond tout à fait à une guêpière moderne.

Ah, on me souffle dans l’oreillette qu’on n’utiliserait pas le même mot outre-atlantique… Ma principale source d’informations de trouve sur les sites des vendeurs : aux États-Unis je connais Dita (pas de guêpière chez Secrets in Lace), et elle les appelle “bustiere”. Il faudrait peut-être envisager, du côté de l’anglais, une sorte de commission de standardisation où de vieux écrivains élus par leurs pairs pourraient siéger pour proposer une manière “correcte” de parler ou d’écrire la langue, ça faciliterait les choses pour tout le monde ! Euh… ou pas…

Quel intérêt ?

C’est vrai, pourquoi moi, francophone écrivant en français, j’aurais besoin de me poser la question des mots permettant de parler des bas en anglais ? Eh bien, j’ai deux raisons pour ça : tout d’abord, le web anglophone est très riche d’informations dont certaines peuvent sans doute intéresser un public francophone. Je pense notamment à la présence en ligne de Katie (celle qui a “fait” dans What Katie Did), mais d’autres sites sont aussi très intéressants même s’ils ne me servent pas forcément de source principale (retrocat2, par exemple).

L’autre raison concerne l’iconographie. Avec d’un côté un élément auquel je n’ai plus eu recours depuis un bon moment maintenant : les IA génératives et leurs limitations. Les modèles grand public sont bridés pour refuser de générer certaines images. Les entreprises derrière ces modèles étant pour la plupart états-uniennes, les bridages suivent la morale locale : il y a quelques temps j’avais demandé au système de Microsoft de générer un bas FF posé sur un lit… impossible, la chose est trop osée ! Il m’est arrivé dans ce cas d’avoir recours à des alternatives dépourvues de ces bridages, alternatives dont le modèle de langage est souvent purement anglophone. Être capable de bien décrire ce qu’on attend, c’est nécessaire pour avoir un résultat à la hauteur ! Si tant est qu’une IA générative puisse donner une telle chose dans ce domaine, ce qui est une autre paire de manches ! Bon, cette limitation, je l’ai finalement un peu oubliée : pour peu qu’on ne soit pas trop insistant dans les termes, il arrive que ces outils donnent des résultats plutôt sympa quand-même, malgré les bridages3.

Toujours dans l’iconographie : les recherches sur les librairies de photos. Ces sites ne sont pas toujours francophones, être en mesure de préciser clairement ce que j’y recherche est un bon moyen d’avoir des résultats de recherche à peu près à la hauteur.

Enfin, il n’est pas exclus qu’un jour, peut-être, je traduise mes articles, ou certains d’entre eux, en anglais… ça pourrait peut être m’aider à « conquire l’Europe », après tout !

Photo monochrome d'une femme assise portant une robe satinée, des gants noirs et des sandales à talons.
La photo de couverture et la photo de fin de l'article sont des photos NylonPur.
Les photos qui illustrent l'article sont des photos Pexels.
  1. en anglais dans le texte, bien sûr ↩︎
  2. rédigé en allemand et en anglais ↩︎
  3. voir par exemple ma photo de couverture sur Facebook — lien dans la barre de liens du site ↩︎


11 réponses à « Les bas d’Ernest »

  1. Je n’avais jamais réalisé qu’il y avait un tel vocabulaire autour des bas et autres dessous.

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    1. Je pense que c’est commun à un peu tous les domaines : quand on ne fait que l’effleurer, ça semble facile, la subtilité vient en creusant. Je ne vous jetterai pas la pierre, les fabricants et vendeurs eux-mêmes mettent en place et entretiennent la confusion, j’ai évoqué ce sujet en ce début d’année.
      Sinon, sur le vocabulaire en général, il a fait l’objet d’un des premiers articles que j’ai publiés ici, où je voulais définir quelques termes classiques, vous me faites penser qu’il faudrait peut-être que je le revoie un peu !

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      1. Je vais aller lire ça 🙂

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      2. Il ne faut pas hésiter en cas de question, je serai ravi d’y répondre. En commentaire, ou à travers un article si elle aborde un point que j’ai manqué 😊

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  2. J’avoue que je ne sais pas si l’anglais fait cette distinction entre les bas en nylon et en Lycra. J’ai fait quelques recherches sans succès, mais le vrai problème, c’est que je ne connais pas le domaine du tout !

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    1. Si ça peut vous rassurer, vous êtes loin d’être le seul, après tout c’est une des raisons pour lesquelles j’ai commencé ce site ! J’avoue tout de même un soupçon de mauvaise foi concernant l’anglais : on utilise aussi socks pour parler de chaussettes, mais quand il s’agit de la chaussette de Noël, on en reste aux stockings… et c’est ce qui m’embête dans mes recherches !
      Pour nylon / Lycra, honnêtement, je doute que la distinction soit faite en anglais, le seul bas qui est suffisamment exceptionnel pour avoir droit à sa propre dénomination est le bas fully fashioned, terme largement utilisé en français aujourd’hui, vu qu’on a oublié qu’il s’agit en France de bas à diminution. Ceux-là, par définition, ne contiennent aujourd’hui que du nylon, vu que Cervin ne les fabrique plus en soie.

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  3. J’adore !!! Une manière ludique et savante de mettre les points sur les i.

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  4. À noter qu’Ernest fut pendant très longtemps (un siècle) un chausseur parisien incontournable pour les aficionados de talons aiguilles. Car de l’escarpin au bas nylon il n’y a qu’un pas. Cette boutique, située dans le quartier de Pigalle, fut un temps associée aux destinées de la marque Cervin. Les forces vives de la féminité !

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    1. C’est une heureuse coïncidence, j’ignorais tout de cet Ernest-ci jusqu’à la lecture de votre ajout.
      Un nouveau sujet que je pourrais creuser !

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    2. Renseignements (rapidement) pris, la boutique historique de la marque existe toujours, rue du Cherche Midi, en gardant une spécialisation dans l’escarpin de luxe. L’analogie vaut ce qu’elle vaut, mais je les placerais dans la même catégorie que Cadolle, Ernest s’occupant des pieds quand Cadolle habille les corps, les deux étant dans le prêt à porter de luxe.
      Savez-vous s’ils ont gardé des liens avec Cervin ?

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      1. Le déménagement s’explique par la proximité immédiate de la la boutique historique avec des sexshops… un environnement difficile à faire coïncider avec la chaussure de luxe quand bien même elle est un symbole absolu de fétichisme. Je rappelle qu’Ernest se présentait alors comme spécialiste des talons (très) hauts. Je ne crois pas que les liens avec Cervin existent toujours mais je n’en suis pas si sûr.

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