La femme de bas en haut

Photo Sodibas montrant les jambes d'une femme, gainés dans des bas à diminution.

Un article de la rubrique « Télévision » de L’Humanité, publié le 08 octobre 1999.

Karin Bernfeld, jeune romancière, auteur d’Apologie de la passivité (Lattès), est mercredi parmi la centaine d’invités de la Marche du siècle. Elle a un visage étroit, immobile, une porcelaine, mais de très grands yeux qui roulent d’un bord à l’autre. Elle parle en remuant faiblement les lèvres. « Je crois que devenir femme, ce n’est pas un cadeau ». Elle a fait sienne la formule de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ». « Qu’est-ce que c’est être une femme, c’est ça la question ». Réponse le lendemain dans le 13 heures de TF1, grâce à un homme, un méconnu, de ces héros de l’ombre, un artisan de la pérennité dont TF1 est friande : « On parle souvent dans ce journal de la sauvegarde du patrimoine ; cela en fait partie et un homme tente de perpétrer (lapsus !) ce mythe culturel et éternel ».

Yves Riquet, c’est le nom du chevalier blanc, a l’air comptable, des lunettes à montures marron, une veste en laine anthracite, une cravate noire, deux doigts dans le gousset du gilet. « Ennemi juré du collant et de la minijupe », il est le sauveur du dernier métier à tisser le bas nylon à couture de l’Europe continentale. « Quand j’ai appris qu’on allait vraiment l’arrêter, alors mon sang n’a fait qu’un tour ». Riquet est « incollable sur le sujet et intraitable lorsqu’on lui objecte que le bas plisse ou alors que sa couture tourne ». Riquet détaille, une « jambe » de couturier sur le bureau : « Ça oblige la femme à faire attention à elle-même et, à partir de ce moment-là, à prendre des attitudes qui sont extrêmement féminines ».  Il accentue EXTRÊMEMENT — la quintessence de la femme, en quelque sorte. Fétichiste sans volupté, il parle avec la science du technicien. Deux bonsaïs sont disposés derrière lui sur une commode ; comme les arbres nanifiés, la femme se dresse, avec minutie, dans la contrainte.

La veille encore, à la Marche du siècle, Claire Legendre, une autre jeune et jolie romancière, l’auteur de Viande (Grasset) (« la transposition du mot chair dans le domaine de la consommation »), décrit son héroïne : « Peut-elle se définir en tant que sujet et aller au-delà de la contrainte du regard de l’homme, donc n’être plus seulement un objet séduisant mais se suffire à soi ». Dans le reportage de TF1, une femme-bas-couture expose sa stratégie ; Marianne, ainsi que nous la présente le commentaire, ne dédaigne pas le regard pétillant de l’homme qui remarque ce détail : « le grand intérêt, dans tout ça, c’est de réussir à lui faire remonter la jambe jusqu’au cerveau ». Que de détours pour être une femme de tête !

L'article original sur le site ousontlesbas était disponible en PDF, j'en ai repris le texte original ici. La seule correction que je me suis permis d'apporter concerne la ponctuation, qui était véritablement une horreur. Ce qui m'a au passage permis de réviser la manière de gérer la ponctuation quand on a un grand nombre de guillemets !
Photo d'illustration NylonPur / Sodibas, bien sûr.
Pour aller plus loin... je vous invite à faire vos propres recherches, j'ai déjà mentionné la fameuse machine dont parle l'article (il y en a 5 à ce jour), ou Yves Riquet.


2 réponses à « La femme de bas en haut »

  1. Joliment mis en forme. Merci de revitaliser ce passé toujours frémissant.

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    1. Sans votre aide, ça aurait été compliqué 😊

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