L’Arsoie : une entreprise familiale

(Lyon Madame N°5, janvier février 2001)

C’est au retour de la Grande Guerre qu’Auguste MASSAL décida, en 1918, d’emballer les bas de Soie à SUMÈNE, son fief où sa famille était enracinée depuis le XIXème siècle. Il venait ainsi de trouver un nouveau marché en fabriquant les boîtes de carton d’emballage qui allaient envelopper les bas en soie. Il venait sans le savoir de lancer une histoire industrielle qui perdure encore à ce jour. En 1925, Auguste MASSAL décéda, victime des gazages de la grande guerre, et c’est son frère Germain qui prit le relais. Rapidement, Germain MASSAL se mit à fabriquer des bas en soie et créa la société L’ARSOIE qui perdure depuis 3 générations. Son PDG actuel, André MASSAL, 73 ans, est secondé par son fils Serge, 45 ans, responsable du développement et Export Manager. Serge MASSAL, dès son plus jeune âge, baigna et fut élevé dans le textile. II fut formé selon les traditions familiales au difficile métier de fabricant de bas.

Bas FF Cervin Chelsea noir – photo Cervin



Difficile métier que fabriquant de bas ?
Certainement ! En effet, après la 2ème guerre mondiale, il y avait près de 200 fabriques de bas. Aujourd’hui, nous les recensons sur les doigts de 2 mains et, sous peu, sur les doigts d’une seule. A l’aube de ce nouveau millénaire, les Fabriques qui tiennent le haut du pavé travaillent pour la grande distribution qui représentent 85 % des parts de marché, et sont passées sous pavillon étranger : ainsi DIM et WELL sont Américains (SARA LEE), LE BOURGET est Italien (OROBLU). Dans la fabrication d’articles de qualité, GERBE est également passée sous la tutelle américaine du groupe KLESCH COMPANY PATTNERS KCP1. Quant à l’Arsoie, envers et contre tout, elle continue d’être tout simplement une société à capital entièrement familial, d’une trentaine de personnes.

Comment fabrique t-on les bas depuis le début du siècle ?
De 1900 à 1920, les bas étaient fabriqués selon la technique de l’anglais Henry COTTON. Les bas étaient fabriqués sur une largeur à plat de 640 aiguilles en revers de cuisse, de 400 aiguilles au genou, 200 aiguilles en cheville et 10 aiguilles en pointe, d’où un bas entièrement diminué et proportionné (Technique Fully Fashioned en anglais et « en terme de mode »).
Jusqu’en 1920, les métiers étaient d’une tête, et un faiseur de bas ne produisait qu’une paire de bas dans sa journée.

A partir de 1920, les capacités des métiers augmentent. Et nous voyons apparaître les métiers 6 têtes, puis 12 têtes, puis 24 têtes, avec revers manuel avant la 2ème guerre mondiale. Les métiers français étaient ceux de la Générale et de Deloustal.
Après la 2ème guerre mondiale, le plan MARSHALL, nous envoie ses fameux métiers américains, READING ou KALIO qui, aux environs des années 1955, sont des métiers dits de grande production : 30 ou 32 têtes, 100 rangées minute, entièrement automatiques, 17 mètres de long, 20 tonnes.Les jauges deviennent de plus en plus fines (avec l’apparition de la jauge 60 ou 66) et peuvent tisser du 15 et du 11 en Nylon ultra transparent. On n’a jamais mieux fait depuis dans la transparence de la jambe. Les fabrications les plus connues sont celles du 30 et du 15 DN utilisant le fil de RHODIA.
En tricotage classique fait en circulaire, on travaille le fil 15 DN avec 400 aiguilles de bas en haut de la jambe. En Fully Fashioned, ce même fil est travaillé avec 200 aiguilles en cheville et 1000 aiguilles en cuisse. D’où un bas proportionné avec diminutions et augmentations. De ce fait, nous obtenons des transparences de jambes inégalable, avec un galbage parfait.


A partir de 1960 : apparition du métier circulaire permettant la fabrication du bas sans couture. Beaucoup de fabricants français n’y croient pas et c’est le début de la fin. Tous les métiers rectilignes sont envoyés à la casse. Les Italiens qui étaient pratiquement absents dans les productions diminuées de bas à couture ne vont pas laisser passer leurs chances car les machines sont essentiellement fabriquées en Italie. Et sont encore de nos jours cédées par les constructeurs aux fabricants de la péninsule dans des conditions rocambolesques pour lesquelles BRUXELLES n’a jamais encore levé le petit doigt.
Ainsi, à l’aube du nouveau millénaire, l’industrie française du bas est en train de disparaître du territoire national pour des raisons de coût social. C’est là que Serge MASSAL, qui peste et fulmine contre les envahisseurs, se dit, entre autre, que la meilleure manière de résister est de reprendre les traditions locales et ancestrales qui ont permis aux Cévennes de faire leur renommée.
En août 1999, est fondée la Société Bas de Soie et Traditions de France qui est la 1ère entreprise à être créée depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.

L’ARSOIE aurait pu rester le façonnier anonyme …
..de Chantal Thomass ou d’Yves Saint Laurent. Jusqu’au jour où Serge Massal découvre à vingt kilomètre de chez lui, deux métiers à tisser « Fully Fashioned » qui pourrissaient dans un hangar désaffecté.
Après quarante ans d’oubli, un vieux métier à tisser a été remis en état. Le monstre d’acier fait 17 mètres de long et pèse 16 tonnes. En cinq mois, Jean Meineri, bonnetier septuagénaire, passionné de ce type de mécanique, redonne vie à ce vieux métier à tisser de la marque READING. Un à un les réglages ont été refaits. Il a fallu rechercher des pièces de rechange à travers le monde dans de vieux stocks car seuls cinq exemplaires survivent.
Le succès est au rendez-vous, Yves Saint Laurent demande des échantillons et passe commande pour des paires de bas de soie couture qui seront vendues environ 400 FF. La société a dans son carnet de commande vingt mille paires de bas Nylon couture et cinq mille paires de bas de soie, destinés aux jambes des femmes de Paris, Tokyo, New York et d’ailleurs.

Contact : Cervin Société l’Arsoie, route de Saint Roman, 30440 Sumène 04 67 81 30 12
Web : https://www.cervin-store.com/fr/
E-mail : contact@cervin-store.com

Informations complémentaires

À lire aussi, si vous voulez des articles plus récents sur le sujet (celui-ci a quand-même plus de 20 ans) :

  • « Dans les Cévennes, le dernier tisserand de bas de luxe rachète une antique machine pour sa clientèle 2.0 « , le Parisien du 04 avril 2021. Chapô : « L’Arsoie, petite entreprise de tissage de Sumène (Gard) fabriquant la marque Cervin Paris, est désormais seule au monde sur le marché des bas de soie ou de nylon à couture grand luxe.« 
  • « De Catherine Deneuve à Beyoncé, la marque de bas de soie qui habille les jambes des stars », les Échos du 23 novembre 2023 (article complet payant). Le chapô est : « La bonneterie L’Arsoie, à Sumène, dans le Gard, est la dernière entreprise au monde à réaliser, sous la marque Cervin, des bas de soie et de nylon dans les règles de l’art, comme aux grandes heures des pin-up. En particulier le bas « couture », tricoté sur des machines classées monuments historiques.« 

À voir, sur le même sujet :

Fabrication des bas Fully Fashioned à Sumène, du fil à la paire de bas – une vidéo NylonPur.
  1. Grosse mise à jour sur cette partie, les choses ont beaucoup évolué depuis 1999, année de rédaction de l’article : aujourd’hui (début 2024), Dim appartient au fond d’investissement Regent (US), Well a été racheté par Le Bourget et fait partie du groupe CSP (Italie). Le parcours de Gerbe est plus chaotique, l’entreprise a fini par être rachetée par un fond chinois, qui a revendu le stock à Vente Privée, le métier linéaire Reading à Cervin et a liquidé l’entreprise en 2020. ↩︎


3 réponses à « L’Arsoie : une entreprise familiale »

  1. […] L’Arsoie : une entreprise familiale […]

    J’aime

  2. […] bas comme ils étaient fabriqués dans les années 40 et 50, à Sumène, dans le Gard. Mais là, c’est une autre histoire […]

    J’aime

  3. […] pas sur l’histoire de l’Arsoie, je l’ai déjà évoquée en long et en large ailleurs. Laissez-moi sauter directement au milieu des années 1990. À cette époque, l’entreprise […]

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.