Histoire du bas

(« Les dessous chics », déc 1997)

Dès le Moyen-Âge, les femmes voilent leurs jambes d’un objet fantasmatique. depuis trente ans, le collant a battu le symbole fétiche de la féminité, le bas, sous toutes ses coutures. L’histoire des bas est aussi intimement liée avec celle de leurs systèmes d’attaches. Porte-jarretelles ou jarretières, bas ou collant, avec ou sans couture … ça bouge autour des jambes.

Difficile d’imaginer que les barbares furent les pionniers des jolis bas lui embellissent de nos jours les jambes féminines. Et pourtant, le bas a bien pour ancêtres les bandes molletières des destructeurs de l’empire romain. Adopté au Moyen-Age par les hommes comme par les femmes, il se porte en fil ou en laine, tenu par une jarretière. Dès la Renaissance, le bas devient un objet de plaisir et de luxe. La jarretière est un objet d’apparat serti de pierres précieuses et d’émail pour la grande noblesse et selon Rabelais, certaines dames ont l’élégance de l’assortir à leurs bracelets.

Je vous ai donné Louix XIV il y a longtemps, voici les bas de son grand-père !

Le bas est si prisé que Catherine de Médicis choisissait ses demoiselles de compagnie parmi celles qui avaient les bas les mieux tendus. Conséquence des premières machines à tricoter, les bas de soie apparaissent dès le XVIIe siècle sur les jambes de la haute noblesse tandis que les pauvres se contentaient de vilains bas de laine, source de démangeaisons fréquentes.

En 1876, Feréol Dedieu révolutionne le système d’attaches des bas en inventant le porte-jarretelles. Dépourvu de dentelles et de broderies, l’invention ne sera pas immédiatement adoptée par les femmes et quelques années plus tard, les rumeurs suffiront à attribuer la paternité de cette nouvelle pièce de lingerie à Gustave Eiffel. Ce sera finalement la mode du corset en S, ce corset si long qu’il avait tendance à se relever sur les hanches, qui intronisera le porte-jarretelles dès le début du XXe siècle. Les jarretelles étaient fixées directement sur le bas du corset afin de le tendre suffisamment.

Bien que cachées, les jambes font l’objet d’attentions des femmes Elles lisent assidûment les revues de mode et suivent de près leurs conseils. Les bas se font généralement noirs mais peuvent aussi être assortis à la robe ou aux chaussures. Comble du raffinement, la broderie du bas s’accorde parfois au ton de la robe. Les dames de la haute s’habillent de bas en fil d’Écosse le jour et de bas en soie le soir. Mais bientôt, la première guerre mondiale raccourcit les robes et révolutionne le port des bas.

Les années 20 consacrent une femme libre et naturelle, la garçonne qui découvre ses jambes. C’est la révolution ! Ces parties du corps classées jusque là « confidentiel défense » s’affichent en plein jour. Les ongles de pieds découvrent le vernis de couleur rose et les jambes s’épilent. Le couturier Paul Poiret supprime le corset et la jarretière fait son come-back. Les bas jouent la nudité en se faisant chair et aérien. Ils se roulent au dessus des genoux autour d’une jarretière. Les hommes frémissent en contemplant un bout de cuisse nue, le temps d’une descente de voiture. Les femmes, quant à elles, découvrent la rayonne, soie synthétique. Certes, les bas de rayonne se démaillent plus facilement mais ils coûtent le quart du prix d’une paire de bas en soie. Les bourgeoises et les travailleuses les adoptent et les poudrent pour atténuer leur brillance, seule différence apparente avec les bas de soie qui ornent toujours les dames richissimes.

Une crise économique passe, une nouvelle guerre se profile et les femmes se rhabillent tandis que le porte-jarretelles en profite pour faire son grand retour. Délaissant le fantasme de la jarretière, les hommes rêvent des jambes gainées de bas noirs et de jarretelles de Marlène Dietrich, ce bel « Ange bleu ». Les années noires teignent les jambes des femmes qui tentent de reproduire en trompe-l’œil le beige de la soie et la couture, faute de vrais bas. Les remmailleuses prospèrent en sauvant les bas filés, ultimes restes des années d’avant-guerre. Les plus chanceuses et les plus fortunées dénichent de jolis bas au marché noir qui se portent haut maintenus par des porte-jarretelles. En Angleterre, la vente et le port des bas de soie sont interdits dès 1941, le luxe et le charme étant perçus comme antipatriotiques. Qu’à cela ne tienne, les femmes prennent goût au confort du pantalon.

Dès 1938, la société Dupont de Nemours avait entrepris de révolutionner la lingerie en concevant le nylon. Mais il faut attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que cette invention relègue en arrière-plan les bas de soie naturelle. L’occasion aussi de fabriquer au niveau industriel les bas désormais montés sur les métiers circulaires. Le métier circulaire fut inventé dès 1879 par l’américain William Shaw mais il fut réservé aux chaussettes. Son utilisation dès les années 50 permet de fabriquer des bas sans couture ni diminution. Branle-bas de combat chez les amoureux du bas couture qui ne s’en remettront pas ! Tandis que la couture disparaît, Dupont de Nemours récidive en lançant une nouvelle fibre élastique qui fera fureur des années plus tard sur les jambes de la geste féminine, le Lycra.

En attendant, une jeune styliste anglaise, Mary Quant, creuse la tombe dès 1965 des bas et de leurs attributs, les porte-jarretelles et jarretières, en raccourcissant les jupes jusqu’aux cuisses1. La mini-jupe va bientôt régner avec pour chevalier servant… le collant. Mais d’où vient donc ce frère ennemi du bas ? De chez Mitoufle, une marque de lingerie française qui a inventé un drôle de « bas slip  » qui recouvre les gambettes du bout de l’orteil jusqu’à la hanche. Dim2, de son coté a entrepris de populariser le bas. Après avoir inventé le bas de secours avec le concept 3 bas par paire, Dim lance dès 1966 les « Tels quels », des bas vendus en boule dans un simple cube. Vendus en grandes surfaces, les bas, totalement démystifiés, la jouent profil bas. Enfin, Dim popularise l’invention de Mitoufle et révolutionne la lingerie en 1968 avec le collant.

Les hommes font leur deuil de ce délicat bout de peau nue au dessus du bas qui les faisait fantasmer. Les femmes quant à elles se satisfont pleinement de cet objet pratique, confortable et chaud ! L’hermétisme se met à rimer avec féminisme et la tendance se fait extrême avec un body collant qui enveloppe jusqu’aux aisselles. Dim magnifie le collant en style de vie. En 1972, la publicité Dim se chante sur six petites notes fredonnantes et bientôt mythiques… Souvenez-vous du « Tatatata tata » ! Le collant est vendu comme un instrument de libération de la femme… à l’époque du féminisme, un vrai coup de génie ! Et la société accède rapidement au deuxième rang mondial de la fabrication de collants. Mais, les années 80 débarquent bientôt avec dans leur sillage, le retour au féminin et aux panoplies de séductrices.

Chantal Thomass remet au goût du jour bas de soie et porte-jarretelles et les hommes peuvent à nouveau s’adonner à ce fameux crissement craquant de la soie sur la peau nue. Les jeunes filles se lancent à la découverte de ces drôles d’objets que sont les porte-jarretelles. Les escaliers du métro sont à nouveau les décors de scènes troublantes où les hommes surprennent le temps d’une montée rapide de marches quelques bouts de cuisses nues. Mais elles n’ont pas toutes la patience de leurs aînées qui supportaient des jours durant les élastiques tendus des jarretelles.

Le porte-jarretelles n’est pas pratique… Qu’à cela ne tienne, Dim rebondit en lançant en 1986 le Dim Up, le bas qui tient tout seul sur la jambe afin de réconcilier liberté de mouvement et séduction. Les ventes ne cesseront d’augmenter avec quatre millions de paires de Dim Up vendues en 1990 et plus de 6 millions de paires vendues en 1993. Face au retour de son frère ennemi, le collant la joue aussi séduction. Il se couvre de motifs et de dentelles et se fait imprimé sous toutes les coutures.

La technologie des années 90 se met au service des collants et des bas. Certains collants gainent les fesses, d’autres tel Pin-Up de Osé, les remontent et estompent la culotte de cheval. C’est aussi le grand retour du collant à varices de nos grands-mères qui réapparaissent sous la forme de collants de contention sexy. La magie de la technologie aidant, non seulement ils sont élégants mais en plus ils galbent et massent. Tout un programme pour mieux célébrer le mot d’ordre de cette fin de siècle : bien-être et séduction. Les gambettes sont choyées par des nouveaux bas-jarretières signés Gerbe ou Chantal Thomass et réalisés par Dupont de Nemours. L’utilisation de mélange lin et Lycra permet ainsi de rester frais au toucher en dépit des chaleurs estivales.

Les nouvelles fibres enluminent3 les jambes. A la clé, des jeux de mats et de brillants et des reflets de couleurs à n’en plus finir. La fantaisie prime mais toute en délicatesse. Les dessins et les motifs décorent de nouveau les collants en jouant la légèreté et la finesse. Autant d’innovations qui font acheter près de 80 000 paires de bas et collants chaque jour en France. Les femmes d’aujourd’hui réconcilient les frères ennemis, en portant à tour de rôle collant et bas selon l’envie du moment… ou leur envie de séduire..

  1. étrangement, l’article de mentionne pas Courrèges, dont l’influence sur la mode des années 60 et la « masculinisation » du vestiaire féminin a été déterminante. ↩︎
  2. à l’époque, encore nommée « Bas Dimanche » ↩︎
  3. ce verbe me paraît bizarre ici, je verrais plutôt « illuminent ». Je ne veux cependant pas trop modifier l’article original – j’ai déjà converti les siècles en chiffres romains, ça ferait trop ! ↩︎


Une réponse à « Histoire du bas »

  1. […] l’Histoire du bas (« Les dessous chics » déc 1997) […]

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