Les controverses autour du corset

J’ai introduit le sujet du corset dans mon billet précédent, en évoquant la très riche histoire de cet élément. J’ai laissé de côté les polémiques qui l’ont accompagné au XIXe et au début du XXe siècle. Je pense qu’elles méritent un peu plus qu’un paragraphe, dans la mesure où elles en disent très long sur le rapport entretenu par la société au vêtement féminin.

Juste devant le porte-jarretelles, le corset est, à mon avis, la pièce de lingerie qui a la plus mauvaise réputation. Je n’ai pas de sondage pour appuyer cette affirmation, n’hésitez pas à la considérer comme gratuite, c’est en tout cas à ce titre que je vous la fais. Cette mauvaise réputation est entretenue par une certaine vision véhiculée par le cinéma, à une époque où le port du corset était devenu plus qu’exceptionnel, sans parler des personnes qui le portaient. J’ai parlé de « Pirates des Caraïbes »1, mais l’idée remonte bien plus loin : je peux mentionner la scène où Scarlett O’Hara a le souffle coupé quand son habilleuse lui serre son corset, par exemple, dans « Autant en emporte le vent »2… On est au moment du tournage de ce film à la fin des années 30. À cette époque, on trouvait encore des femmes qui avaient porté le corset au quotidien dans leur jeunesse, mais peut-être que les réalisateurs ont joué sur le fait que je film faisait référence à un corset des années 1860, pas 1900… Ou alors, il s’agissait simplement d’un corset réalisé par une costumière et pas par une corsetière, qui aura donc effectivement coupé le souffle de la pauvre Vivien Leigh… Dans ce domaine comme dans d’autres, l’amateurisme et l’approximation font malheureusement des ravages.

Je vais ouvrir ce billet (bon, j’admets qu’il est déjà bien ouvert, j’en suis au 3e paragraphe !) par une citation d’un article paru dans le Figaro, le 7 mars 1902, peut-être un peu publi-rédactionnel, ce qui montre que la tendance n’a rien de neuf :

Le corset attaqué ? L’avis de la Faculté

La question du corset chez la femme, chez la jeune fille surtout, est primordiale. On ne saurait trop insister sur ce point. Parodiant le fameux mot d’Hippocrate, on peut dire « que toute la femme est dans son corset ».
Les intéressées se contentent trop souvent d’un à peu près regrettable qui devient pour elles une source de maux d’estomac, de migraines et d’accidents graves. La neurasthénie, chez elles, n’a souvent pas d’autres causes.
Le corset idéal doit être conçu suivant l’anatomie exacte de celle qui le porte et non selon un type « moyen ».
Que les intéressées demandent à M. Claverie3, 231, faubourg Saint-Martin, son album spécial de corsets, qu’il se fera un plaisir de leur envoyer gratuitement.

Concrètement, que reproche-t-on au corset ? Avant toute chose, sa rigidité qui aurait pour effet non de tenir le corps, mais de le déformer. Et de montrer des rapports d’autopsie où on voyait un squelette aux côtes complètement écrasées. Rapport assorti de photos de demoiselles du temps jadis à la silhouette littéralement en sablier. De quoi largement inquiéter. Sauf que, en pratique, ces photos de dames sablier, il n’y en a pas tant que ça. En tout cas, si on compare au nombre de photos de femmes de la belle époque, où pour les coup les archives sont très riches, la plupart ont certes une silhouette caractéristique, mais clairement pas extrême.

Image tirée du Larousse médical illustré, 1924

Alors, intox ? En bonne partie, oui. J’ai lu sur un autre blog, très bien informé sur la vie au XIXe siècle, que le corset et la mode en général étaient, de manière contre intuitive, un espace de liberté pour les femmes à cette époque. Elles appréciaient de se réunir entre elles et de parler chiffons, entre autres, ce qui était insupportable pour certains hommes qui imaginaient, les sots, qu’elles profitaient de ces réunions pour parler de sujets réservés aux hommes – comme des histoires de droits de vote, de droit de disposer d’un compte en banque voire, soyons fous, d’avoir un emploi à elles, loin de leur place naturelle qui était la maison. Peut-être pas si sots que ça, en fait, l’Histoire leur a finalement donné raison, pas forcément de la manière qu’on aurait pu espérer, mais pour un résultat au-delà des attentes !

Ces femmes sabliers n’ont-elles j’allais existé ? Il en a existé, bien sûr ! Il a existé, à l’époque, des femmes qui cherchaient à avoir la taille la plus fine, le serrage le plus important, le « record », et il en existe encore ! Comme il existe aujourd’hui des femmes qui passent leur vie en salle du gym pour sculpter le corps idéal qu’elles n’auront jamais – elles auront toujours trop de ceci ou pas assez de cela. Vous vous dites que je parle de comportements pathologiques et qu’ils ne sont pas représentatifs de la majorité ? Vous avez tout à fait raison. Il en allait de même pour la pratique du corset extrême : une pratique très marginale, parfois pathologiques, qui par son côté extrême mettait effectivement en danger la vie de la femme qui la pratiquait.

En fait, pour mettre en valeur leur « taille de guêpe », les femmes avaient d’autres moyens plus efficaces, plus confortables et beaucoup moins contraignants qu’un corset extrême. Le premier, pas forcément à la portée de toutes à l’époque, est encore bien connu et pratiqué aujourd’hui : la retouche photo, qui n’a pas attendu PhotoShop. Vous seriez surpris de tout ce qu’on peut faire en jouant avec le papier sous un agrandisseur ! Je le sais bien, je l’ai pratiqué (à une échelle minuscule) avec mon père dans ma jeunesse ! Mais si la retouche photo est acceptable pour une photo, elle ne peut rien au quotidien. Là, on va avoir recours à d’autres expédients, purement optiques. Pour faire paraître une taille fine, il faut qu’elle le soit. Ou alors, on s’arrange par contraste pour que les hanches et la poitrine soient un peu plus larges que nature, la taille semblera automatiquement plus fine. Et de rembourrer ces parties plus généreuses par nature pour affiner ce qui doit l’être. Jouer sur les motifs peut aussi être une option, à la condition expresse que la mode le permette, bien évidemment.

Que conclure ? Que les polémiques, comme souvent, seraient nées de la combinaison de produits de mauvaise qualité et de cabales médiatiques montant en épingle des épiphénomènes, il n’y a décidément rien de nouveau sous le soleil ! Ces polémiques ont cependant laissé leur trace dans l’imaginaire collectif et trouvent leur écho aujourd’hui dans la culture populaire. Et pourtant, les starlettes qui foulent le tapis rouge dans leurs corsets modernes ne semblent pas vraiment en souffrir, et les quelques femmes qui font, aujourd’hui encore, le choix d’en porter ne le font pas sous la pression d’un « patriarcat », mais par choix.

J’aimerais toutefois mettre en valeur un commentaire qui m’a été fait sur un réseau social, disant en substante qu’il n’est pas impossible que le port trop régulier d’une lingerie rigide, comme l’est le corset, puisse provoquer à terme une atrophie des muscles notamment dorsaux, qui permettent au corps de se maintenir. Il me semble qu’on voit le même phénomène se produire après usage trop intensif d’équipements médicaux gainant. Je ne suis pas sûr que des études cliniques sérieuses aient été faites sur le sujet, celui-ci étant un sujet de niche depuis un petit siècle maintenant, il n’est cependant pas impossible que les adeptes actuelles du tightlacing fournissent des informations médicales intéressantes.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet, je pourrais parler du busc cuiller destiné à soutenir le ventre, du busc droit caractéristique du corset edouardien  inventé pour des raison hygiéniques par madame Inès Gaches-Sarraute, médecin de son état, je pourrais évoquer des articles en défense du corset… mais je vais m’arrêter là. Pour la suite, je pense que je ferai appel à des expertes du sujet, en vous proposant des traductions remaniées d’articles de Katie… et peut-être d’autres surprises sur le sujet. Mais il va falloir patienter, j’ai beaucoup à apprendre sur le sujet !

Références

Je l’ai mentionné dans mon premier article, une de mes sources a été l’article de wikipédia sur le corset.

Je me dois cependant d’inviter toute personne que le sujet intéresse à consulter aussi cet article, qui m’a donné énormément de matière pour rédiger celui-ci. N’oubliez pas de lire aussi les commentaires, tout aussi bien renseignés et intéressants que l’article principal.

La page du Larousse médical de 1924, dont j’ai tiré une planche, peut être consultée ici, vous y trouverez un condensé des avis médicaux sur le corset à cette époque. Notez qu’il était notamment accusé de « favoriser la tuberculose ».

  1. La scène dans Pirates des Caraïbes peut être regardée ici : https://www.youtube.com/watch?v=g8uO3OSt4cA ↩︎
  2. Celle-ci est ici, mais elle est surjouée que dans mon souvenir : https://www.youtube.com/watch?v=FZ7r2OVu1ss ↩︎
  3. il est à noter que les descendants de ce monsieur Claverie ont conservé jusqu’à 2022 la même activité dans la boutique de leurs ancêtres, toujours à la même adresse. Ils ont maintenant cessé, reste la superbe façade, classée, qu’on peut admirer au 234, rue du Faubourg Saint Martin à Paris. Les personnes intéressées pourront aussi trouver quelques photos de l’intérieur sur le blog mesbasetmoi. ↩︎


Une réponse à « Les controverses autour du corset »

  1. […] qu’elle aime des slogans simples, voire simplistes. Les recherches que j’ai pu faire pour écrire sur le corset m’ont montré que la réalité est beaucoup plus nuancée que ça, et que souvent les […]

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