La femme du train

C’est une scène banale, que toute personne qui habite dans une grande ville a déjà vue des centaines de fois : un train, élément insignifiant mais ô combien important du réseau de transports en commun, arrêté à une gare. Du monde en descend, du monde y monte, vraiment rien de spécial à en dire… sauf que, dans ce monde qui monte, il y a… Elle.

Elle… je devrais peut-être dire « toi », plutôt, peut-être lis-tu ces modestes lignes, bien que ça me semble bien improbable. Toi qui sors de la banalité ambiante par ton charme, par ta tenue. Pas de bas nylon, à mon grand regret, mais des jambes, des jambes longues, magnifiques, gainées d’un joli collant noir assez épais tout de même, du 40 deniers si je ne me trompe pas, des jambes qui vont se perdre là-bas, plutôt là haut, sous une courte robe en laine bleue claire. Robe un peu courte peut-être, c’est elle qui permet de n’avoir aucun doute sur ce qui habille si joliment tes jambes, robe qui, sur toi, est du plus bel effet. Aux pieds, des bottes, sans talons. Mais tu es assez grande, tu n’en as pas vraiment besoin. Et sur ta robe, un manteau blanc cassé, un manteau largement ouvert, qui ne cache rien.

Tu t’es assise là, en face de moi. Je n’avais pas mon téléphone à la main, pour une fois, je n’avais pas de livre non plus, mais je n’en ai pas profité pour t’observer. Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, un homme un peu bizarre, assis en face de vous dans un train, ça doit être un peu inquiétant quand il vous regarde avec insistance. Non, j’ai cherché à accrocher mon regard ailleurs, par exemple sur cette autre femme, un peu plus loin, tout en te dévorant du coin de l’œil. Très féminine avec son tailleur pantalon noir, mais bien moins jolie que toi, remplacée très vite par deux copines pour le coup plus que banales, d’un âge assez avancé1, pourtant jean et t-shirt. Délicieuse torture de ce voyage en tête à tête, face à toi que je n’ose aborder, que je n’ose même regarder pour ne pas te gêner – tu ne regardes pas ton téléphone non plus, où va donc se perdre ton regard ? Certainement pas sur mes bas, ils ne sont pas visibles ici, la chaîne de ma montre gousset non plus, mais il y a sans doute d’autres sujets d’intérêts dans ce train, derrière moi peut-être…

Et puis, finalement, tu te lèves et tu descend de ce train, un peu trop tôt, un peu avant moi. Bien sûr tu emmènes tout avec toi : ton manteau blanc cassé, ta petite robe en laine, ton collant sur tes jambes si longues… Et quand je te vois partir, sans avoir pu te dire à quel point tu es jolie, sans avoir pu te dire à quel point tu as la fraîcheur d’une fleur en cette saison – je ne sais pas, tu aurais pu prendre ça pour du harcèlement, ou pour une remarque tellement banale -, je vois une chose un peu triste : ton collant, si joli, est filé sur ton mollet droit…

  1. l’âge en lui-même ne veut rien dire, j’ai connaissance d’une dame qui a quelques années de plus que ces deux là, et qui pourtant… mais je n’en dirai pas plus ! ↩︎


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