Quelques vidéos récentes ont un peu fait parler d’elles sur certains réseaux sociaux1. Celles-ci sont tirées de films ou de séries d’inspiration historique… d’inspiration seulement, en tout cas du côté des costumes, vu que les réalisateurs ont préféré se vautrer dans la facilité de clichés éculés plutôt que faire intervenir de véritables historiens du costume. Examinons ça, si vous le voulez bien.
Hurlevent !
La première occurrence est aussi celle dont j’ai entendu parler le plus récemment. Elle se trouve dans la bande annonce officielle de Wuthering Heights (le film, pas la chanson de Kate Bush, « Les Hauts de Hurlevent », en français). Pour vous faire une idée, voici la bande annonce complète. Le passage litigieux est très court mais puissant, voir à la minute 0:49 — attention, c’est très rapide —, ou alors les captures que j’en ai prises, juste en dessous.


Ce qu’on voit ici : une femme, qui d’après sa tenue appartient à la haute société, qui se fait habiller par une domestique. La femme est légèrement inclinée vers l’avant, se tenant à une commode. La domestique lui met son corset et le serre brusquement, lui coupant le souffle dans l’action. Avec un petit raffinement supplémentaire : on voit sous le corset la peau nue de la pauvre femme, lacérée par les lacets dudit corset. Il ne manque que les zébrures du fouet sur cette peau douce et innocente pour que le tableau soit complet — c’est peut-être une forme de biais, mais j’y vois une référence directe à une position de domination SM2.
Qu’en dire…? Attendez, j’en reparlerai à la fin de la section suivante, les scènes sont contemporaines.
Bridgerton
Une petite scène des Chroniques de Bridgerton
Notez la similarité avec la scène dont j’ai parlé ci dessus : une femme qui se tient, présentant sa croupe son dos à la domestique chargée de la torturer en serrant le plus fort possible, lui coupant le souffle au passage. Avec une différence significative ici : une pièce de tissu se trouve entre le lacet cruel et la peau de la malheureuse, quelle chance elle a !
Bon, dans ces scènes… rien ne va. Je ne suis pas trop sûr de l’époque des Hauts de Hurlevent, mais il me semble que l’histoire se situe plus ou moins sous la Régence anglaise, autour de 1810/1820. Il en est de même de Bridgerton. Oh, bien sûr, chacun sait que le corset a entravé et contrôlé les femmes pendant tout le Moyen-Âge et jusqu’à ce que le brave Paul Poiret les sauve de cet accessoire mortel3, après tout on le voit dans tous les films, donc ça doit être vrai ! Bon, pour info, voici un tableau qui montre un soir de bal dans une ville de la province anglaise précisément à cette époque, en 1817 :

Vous pouvez voir un autre exemple de robe de cette époque, si le tableau précédent montre peut-être la haute bourgeoisie, ici il s’agit de la princesse Charlotte de Galles, fille de George III et héritière du trône d’Angleterre jusqu’à son décès, survenu en cette année 1817 où a été peint ce portrait :

Notez la poitrine bien visible et marquée, et la robe qui flotte largement sur la taille.
Et voici, plus en détails, à quoi ressemblaient ces affreux corsets à l’époque de la Régence :



Vous pouvez objecter qu’on ne se limite pas forcément à la période de la régence du prince Georges qui allait devenir IV, mais qu’on veut prendre la version étendue, jusqu’à la fin du règne de Guillaume IV (1837). Le corset était bien revenu à cette époque, non ?
Bon, voici quelques exemples de ce qu’on peut trouver dans les années qui ont suivi :



On retrouve un vêtement structurant, affinant la taille. Mais on est loin d’une forme en sablier, et notez, sur le corset britannique, que le lacet revient vers l’avant pour y être attaché. Nul besoin d’une domestique pour attacher cette chose.
Un détail
Il est un point qui est tellement évident que j’ai presque oublié de le mentionner. D’ailleurs, vous pouvez regarder plus haut : c’est simple, je ne l’ai pas dit. Il concerne la bande annonce des Hauts de Hurlevent, j’ai insisté sur le côté presque SM de la scène, en oubliant de préciser qu’entre l’apparition du corset « moderne4 » et le milieu du XXe siècle, il ne serait venu à l’idée de personne de porter un corset directement à même la peau : ce n’était pas fait pour ça, le corset se portait sur une chemise en lin ou en coton, on le voit d’ailleurs encore sur quelques photos du début du XXe siècle, dont certaines que j’ai déjà partagées dans mes autres billets sur le corset.
Conséquence immédiate : la scène présentée dans cette bande annonce en dit peut-être long sur les fantasmes du réalisateur, mais n’est en aucun cas représentative d’une quelconque réalité historique5.
Robes Régence
Je ne résiste pas à la possibilité de partager avec vous quelques modèles réels de robes de cette époque, qui donnent indirectement une idée de ce qui pouvait se porter dessous : clairement pas un corset victorien en tight lacing !


La plupart des images illustrant cet article sont issues de Wikimedia Commons, à l'exception de celles que j'ai tirées de la bande annonce des Hauts. Quant aux vidéos, elles sont hébergées sur YouTube.
Pour aller plus loin
Cet article n’est clairement pas le dernier sur le sujet, j’en vois venir deux autres sans trop me creuser la tête. En attendant, vous trouverez ici mes autres articles sur le corset (et ses descendants), à la confluence entre l’Histoire, la mode et les rapports entre les femmes et les hommes :
- alors, non, il ne s’agit pas de grands débats qui ont enflammé la toile. Mais elles ont fait réagir toute une communauté d’historien(ne)s et de passionné(e)s du vêtement qui apparaissent régulièrement dans mes fils, quand je ne les suis pas directement. ↩︎
- sauf que ce que je connais du sujet m’est venu de films que feue ma mère ne voudrait pas me voir citer ici, donc si mon idée est inexacte n’hésitez surtout pas à me corriger ! ↩︎
- il faudra vraiment que j’en parle, de ça ! En attendant, sachez que Poiret partageait un trait avec le bon vieux Jules César : le génie de sa propre mise en scène. ↩︎
- par opposition à ses ancêtres antiques ↩︎
- Ce qui me rappelle, dans un tout autre contexte, une référence lue dans un livre dont l’intrigue était censée se passer pendant une des guerres de l’opium, entre 1839 et 1856 : à un moment, l’auteur décrit une scène impliquant un porte-jarretelle… raté ! ↩︎

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